Jours 192 à 198 – Mercredi 2 à mardi 8 novembre 2022 – Arica, Putre, Humberstone, Calama – Chili
Arrivé en pleine nuit, l’aperçu que m’offre les paysages traversés en quelques minutes jusqu’à la ville côtière d’Arica est un choc. Les bâtiments ici sont plus hauts, à l’architecture plus complexe et avec tout l’aménagement qui m’est familier en Europe : volets, clôtures, jardins enherbés… La voirie est entretenue et l’absence de déchets en perspective est immédiatement identifiée. L’avertissement du chauffeur quand je descends de nuit dans un quartier isolé m’est cependant bien familier : « quartier dangereux » s’ensuivant d’un « fais attention aux vénézuéliens »…
Désormais, pour dire criminel, les locaux parlent bien trop souvent de la sorte, à mon goût, de ces étrangers. Il ne faut pas négliger que partout où je passe, le constat est le même depuis la Colombie : les crimes augmentent et la quiétude de nombreux quartiers n’est plus assurée. La traite humaine est d’ailleurs de retour et rappelée avec des panneaux de sensibilisation depuis le Pérou. Impensable et pourtant réel.
Cela n’engage que mon analyse mais la médiatisation me paraît similaire à celle en France où par exemple le concept de terrorisme est associé à la religion musulmane. Lorsque c’est un « vieil homme blanc d’une autre religion » on cherchera à utiliser un autre vocabulaire (un peu comme avec les féminicides mais bon je vais faire court). Si chaque attentat terroriste est réalisé par un musulman, le cerveau fait alors le raccourci inverse avec la logique de croire que chaque musulman est un terroriste. Et c’est le cas selon ma lecture avec les vénézuéliens qui fuient pourtant une situation qui dure depuis plusieurs années et qui n’est souhaitable à personne.
Je retrouve mon premier visage familier depuis six mois en voyant devant moi Lorène, toute souriante malgré la fatigue. Et quel plaisir, notamment après les dernières semaines de retranchement dans ma bulle. Impossible de dormir immédiatement à vouloir se partager nos aventures, c’est avec deux heures de sommeil que nous prenons le bus à l’aube pour le petit village de Putre dont le parc naturel avoisinant la frontière bolivienne offre des panoramas que nous souhaitons découvrir.
Perché à quelques 3500 mètres d’altitude, je découvre dans ce bourg le coût de la vie au Chili qui va très vite me faire réviser mes plans car mes dépenses quotidiennes après le Pérou doublent malgré l’envie de faire attention. Je passe d’un menu du jour à 1,50-4€ à quelque chose autour de 6-10€. Les sorties atteignent également plus du double voire du triple des excursions dans les pays précédents.
Avec Lorène, nous optons pour repos, cuisine maison et bière depuis un point de vue dégagé pour observer le coucher de Soleil entre les montagnes dont quelques sommets sont encore enneigés malgré les alentours désertiques et l’approche de l’été. La météo est improbable et oscille entre chaleur écrasante et neige. La moindre brise à l’ombre fait remettre une veste.
Sur une journée, nous partons en voiture avec Rubens, Marco le responsable de notre auberge et sa fille Rayen après avoir partagé quelques chansons au karaoké la veille et apprécié des musiques en live. Après une balade à parcourir le territoire des vigognes et à rencontrer quelques grottes préhistoriques où les peintures rupestres ont été effacées par quelques feux de camp de vagabonds, nous savourons les panoramas offerts par les lacs et les volcans avec une avifaune riche et fascinante. Au retour, visite du premier village chilien avec sa petite église d’adobe et de peinture blanche renfermant une légendaire table fantôme terrorisant il y a de nombreuses années les habitants en parcourant les rues de Parinacota flanquée de 4 bougies avant de s’arrêter devant la porte d’une maison, annonçant une mort imminente. Heureusement, elle est depuis bien attachée pour ne plus s’échapper.
Conclusion en beauté avec un moment inestimable dans des termes naturels à ciel ouvert avec un nouveau coucher de Soleil savoureux. L’altitude et la chaleur sont néanmoins un combo à ébranler les plus braves…
De retour à Arica, je suis heureux d’avoir quitté le désert après des heures à sillonner les vallées dégarnies de toutes vie à l’exception de quelques cactus. Heureusement que le climat de la ville côtière n’est pas aussi éprouvant malgré la réputation de la cité d’être la ville la plus aride du monde avec notamment 14 années au début du précédent siècle sans une seule goutte d’eau.
Cet endroit est réputé pour sa météo mais davantage pour son rôle dans la Guerre du Pacifique opposant la coalition du Pérou et de la Bolivie au Chili entre 1879 et 1884. L’objectif était stratégique avec la volonté d’annexer une région riche en salpêtre servant à la fabrication d’explosifs à l’époque. Appuyé par les Britanniques, le Chili gagnera 200 000 km² de territoire et fera perdre à la Bolivie son accès à la mer au passage.
Enfin, c’est ici qu’on trouve les plus anciennes momies du monde, les fameuses momies de Chinchorro qui ont jusqu’à 7000 ans, déclarées au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’augmentation de l’humidité dans ce désert avec le changement climatique commence à affecter les sites tout juste découvert voire pas encore et risque de faire disparaître de nombreuses informations cruciales pour comprendre cette culture.
En quittant Arica, après que Lorène ait pris son vol pour aller plus au sud du pays qui rappelons-le fait plus de 4000 km de long, je me dirige vers une curiosité qu’est le village fantôme d’Humberstone, lui aussi classé patrimoine mondial de l’UNESCO. Symbole de l’industrie du nitrate (à partir du salpêtre), cette ancienne ville construite en 1872 rappelle la période faste d’exportation du pays (jusqu’à 50% du PIB) jusqu’à la synthétisation du produit. Elle a abrité presque 4000 péruviens, boliviens et chiliens à son apogée malgré des conditions de travail difficiles.
Abandonnée dans les années 60, elle reflète aussi un pan d’histoire moins glorieux pour le pays avec, dès la grande dépression mondiale de 1929, des conditions de travail déplorables et une inflation rendant la vie quotidienne invivable. La protestation des employés sur tout le pays terminera souvent dans la violence et Humberstone n’y échappera pas avec un massacre de plusieurs centaines de personnes dont des familles réunies sous la promesse d’un salaire réévalué.
La visite est une similaire à l’immersion dans un film. Il est possible d’entrer partout et de se perdre dans les ruelles à l’ambiance sonore et visuelle « un peu beaucoup trop calme ». L’atmosphère pesante et oppressante, d’autant plus avec l’histoire en tête, je dois prendre plusieurs heures pour finir de faire le tour avec mon regard d’explorateur à la recherche du moindre trésor encore secret et de toutes les histoires qui me sont contées à chaque nouveau pas dans ces ruines. C’est un soulagement de sortir de la zone résidentielle pour découvrir avec curiosité la zone industrielle à proximité. Ce sera surtout une respiration de repartir de ce lieu autant chargé en émotions.
Un peu plus loin sur la route, je guette tout moyen de me rendre à San Pedro de Atacama. Je trouverai au final un bus qui m’emmènera à mi-chemin jusqu’à Calama, ville plus coupe-gorge que charmante de nuit. Tentant de parcourir les 400 mètres qui me séparent de mon hôtel, j’ai eu la joie de commencer à me faire encercler par trois hommes et de réagir suffisamment rapidement pour traverser et prendre le premier taxi visible. Nuit reposante assurée, je gagnerai demain le fameux désert d’Atacama dont tous me vantent les charmes.