Un air de Jamaïque

Jours 271 à 274 – dimanche 18 à mercredi 21 juin 2023 – Corozal, Belmopan, Hopkins, San Ignacio – Belize

Ma musique “mémoire” du lieu, à écouter durant ta lecture si ça te dit !

Ce dimanche, c’est journée d’aventure. Je quitte le Mexique pour le seul pays d’Amérique latine à parler anglais. Impossible de reconnaître la navette qui se rapproche de la frontière. Je remercie gentiment un taxi qui s’arrête et qui s’en va quand des locaux m’approchent pour me dire que c’était la navette que j’attendais… C’est parti pour lever le pouce !

En descendant la route, j’aborde les poids-lourds sur le bas-côté. Je rencontre José avec qui je papote un bon moment alors qu’il m’évoque les conditions de vie de transporteur au Mexique et qui travaille sur le train maya. Selon lui, le projet est encore loin de voir le jour. À force de le bombarder de questions, je le fais rater sa sortie et il engage une magnifique marche arrière sur l’autoroute. Manque de bol, j’avais compris qu’il allait vers la frontière et il me lâche au milieu de cette voie rapide en plein cagnard. En quelques secondes j’arrive à arrêter un colectivo, minibus de transport public, qui me dépose un peu plus loin.

Les taxis se cumulent à force de s’approcher de la frontière à pieds sur les derniers kilomètres. La vingtaine de kilos que j’ai sur le dos rend l’offre tentante mais j’ai envie de m’aérer et je sais que je vais me faire plumer pour un passage de frontières d’à peine quelques minutes de marches. Je me fais arrêter par des militaires qui me demandent de monter dans un taxi. Je n’ai donc pas le droit de traverser la frontière à pieds. Un non-sens mais que je finis bien par accepter après quelques tentatives de négociations…

Le drapeau du Belize, seul au monde à représenter des êtres humains.

Quelques deniers en moins plus tard, les frontières passées, j’attends dans une nouvelle ambiance, plus caribéenne, dans la ville de Corozal. Aucune information dans le bâtiment. Je me renseigne sur les bus à venir. Mon anglais est un peu rouillé et le réflexe de parler en espagnol dans la rue me jouera plus d’un tour. Enfin c’est surtout l’accent très fort qui me déstabilise le plus, au point de demander trois fois l’horaire de mon transport et conclure qu’il finira bien par passer.

Je traverse le pays dans mon premier bus scolaire américain. On les appelle ici « chicken bus » pour leur couleur jaune et ils sont légions sur toute l’Amérique Centrale. Après avoir traversé une grande partie du pays sur toute la journée, j’arrive à Hopkins. Loin des îles paradisiaques au nord du Belize, je cherche ici à découvrir dans ce petit village côtier un peu de la vie locale. Sur place, je rencontre Will, Alex puis Salonika, tous trois du Royaume-Uni pour me tester encore plus dans ma compréhension des accents.

Les fameux chicken bus. Chaque pays semble arborer ses couleurs.

Loin de chercher la productivité, mon temps libre consiste alors à aller découvrir la gastronomie bélizienne, parler avec les commerçants, apprécier la musique live des restaurants sur la plage… Ma dernière soirée sur place prend un tournant inattendu lorsqu’un bélizien passe devant nous et nous offre une tournée. Nous acceptons sous la condition que ses compagnons et lui-même la partage avec nous. C’est ainsi que nous faisons la connaissance de Roy, réalisateur, Chris, cameraman, et Gibon, acteur, et pionniers de l’industrie cinématographique du pays.

Le crew de BZEWOOD !

S’engage une discussion surréaliste avec Roy dont les propos me demandent de prendre beaucoup de distance. Jurant par l’argent, exhibant sa femme de moitié son âge via les photos de son téléphone, il s’annonce très fort pour faire usage de ce qu’il nomme son don et me donner des conseils sur la vie que je dois mener. Le poussant à aller au bout de ses raisonnements afin de comprendre ce qui le mène à penser ainsi, je sens qu’il est impossible d’aller bien plus loin face à tant de certitude de sa part. Plutôt que de réagir sur la défensive lorsque ses propos viennent à être offensants, je retourne ses idées en appliquant son raisonnement. Amusant un temps, difficile sur la durée. Cela n’enlève rien de la gentillesse dont les trois compères font preuve et me force à prendre les choses comme elles sont. Je suis même invité à faire une journée de pêche sur leur bateau le lendemain. Mon programme et le doute sur la capacité du groupe à se tenir à l’idée le lendemain me font décliner la proposition.

Départ au matin pour ma seconde étape, San Ignacio, près de la frontière guatémaltèque. Avant de se séparer à la capitale, Belmopan, pour suivre nos itinéraires respectifs, mes compagnons de voyage et moi-même nous arrêtons pour une piscine naturelle donnant sur des grottes sous-marines. Blue Hole nous offre un échantillon de sa biodiversité avec notamment ses oiseaux, ses lézards et chauves-souris. L’eau est tellement limpide qu’on peut s’amuser à pêcher avec un insecte ou un morceau de fruits dans la main.

La moindre sortie étant excessivement hors de prix, San Ignacio connaîtra le même planning que Hopkins. J’aurai l’occasion de rencontrer un groupe de quatre anglophones dont Eli une américaine que je recroiserai régulièrement au Guatemala, une anglaise, une australienne, un néo-zélandais. Si même entre eux, il est compliqué de se comprendre, imagine moi un instant face à ce florilège d’accents. Aucun ne vaudra jamais celui de la campagne irlandaise que nous avons découvert en tour à vélo du pays il y a quelques années avec mon frère. Doux souvenir qui m’avait valu un fou rire bien gênant !

Bon, difficile de rester en place trop longtemps alors je me permets quand même une visite. Le Belize était en effet un territoire maya et regorge toujours de nombreuses ruines. À défaut d’aller en visiter une regorgeant de squelettes dans ses cavités (les 100$ américains atténuent l’envie), je prends donc un cours sur la production du cacao. Aujourd’hui plantés avec des bananiers pour apporter de l’ombre aux cacaoyers, c’est l’une des rares exportations du pays à l’étranger. Sa culture est un héritage maya où le fruit jouait une importance capitale.

Premiers à y dédier des plantations, le cacao pouvait avoir un rôle rituel, économique, médicinale voire alimentaire (réservé à l’élite). Petit récap’ sur comment passer du cacao au chocolat :

  • Les fruits sont récoltés tous les 3 à 5 ans en général. Ici, le climat et l’altitude rendent la chose plus longue aussi on tourne davantage autour de 8 ans. Les cabosses sont ouvertes à la machette. Les fèves doivent être recouverte d’une chair blanche avec des teintes violettes. C’est elle qui contient le sucre.
  • Placées sur des feuilles de bananiers, l’étape de fermentation nécessite un fort taux d’humidité. Les fèves sont remuées toutes les 48h afin d’assurer le développement des arômes.
L’étape de fermentation. C’est pas l’odeur la plus sympa.
  • Le séchage se fait sur 3 jours (dans d’autres régions cela peut aller jusqu’à 15) et sur une partie de la journée seulement (matin par exemple). La fève prend alors sa couleur marron. Après cette étape, les fèves sont transportées dans des sacs et pour 80 % envoyé en Europe ou en Amérique du Nord.
L’étape du séchage.
  • La torréfaction permet de griller les fèves pour faciliter la séparation du grain de cacao de sa fine coque (qui elle peut servir à faire des infusions ou être dégusté de la sorte).
La torréfaction peut être artisanale ou industrielle.
  • L’étape du broyage donne naissance à la pâte de cacao. Les mayas utilisaient des pierres lisses pour cette partie. Celles-ci même lavées gardaient des saveurs (comme le piment ou d’autres épices) et cela donna accidentellement l’enrichissement du cacao avec d’autres saveurs (oui, ici on mange encore du chocolat pimenté). L’huile se sépare de la partie solide durant cette étape et l’industrie actuelle garde ce beurre pour les produits de beauté et le remplace par des huiles de moindre qualité.
  • En prenant cette pâte, on peut la mélanger à de l’eau, du miel et du piment (chili). Traditionnellement, on rajoute également de la cannelle et du piment de la Jamaïque (plus connu sous le nom de quatre épices). On évite de mettre du lait, la plupart des descendants mayas étant intolérants au lactose (et oui, les vaches et les chèvres n’existaient pas avant la conquista).
Avant l’ajout de l’eau et d’autres épices.
Dommage, elles m’ont mis trop de miel…

Ce pays d’à peine 400 000 habitants m’aura laissé en seulement quelques jours un souvenir joyeux et plein de légèreté à l’image de ses habitants. Un bélizien m’a décrit le pays comme la Jamaïque avec un peuple moins belliqueux. Avec sa population d’origine multiple (amérindienne, européenne, africaine, créole et garifuna), elle se distingue fortement des pays qui l’entourent. Difficile d’imaginer alors une partie du pays devenir territoire guatémaltèque dans ce contexte de différend frontalier toujours en cours.

Dans ce pays où les conditions de vie ne sont pas toujours simples, je retiens pourtant la phrase d’un inconnu assis à mes côtés au marché qui reflète l’esprit du pays selon ma courte expérience : “life is easy, man” (la vie est facile, mec).

Allez, c’est parti pour le Guatemala et en priorité Tikal, cité maya à couper le souffle (littéralement, satanés escaliers de la mort).

L’humour de l’hôte de l’auberge où je suis resté : un homme a frappé dans le mur pour X raison. Il l’a encadré en appelant l’œuvre “masculinité fragile”. Grand fan.

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