Sacrifices en série

Jours 258 à 261 – lundi 5 à jeudi 8 juin 2023 – San Cristobal de las casas, San Juan Chamula, Palenque – Mexique

Ma musique “mémoire” du lieu, à écouter durant ta lecture si ça te tente !

Après 12h de bus bien réfrigérées pour atteindre la région du Chiapas, je sors au petit matin pour découvrir l’une des villes favorites des locaux comme des voyageurs, San Cristobal de las casas. Je tombe presque, je dis bien presque, par hasard sur un café aux nombreuses viennoiseries françaises pour bien entamer ce séjour. Une fois les affaires posées à l’auberge, je pars m’aventurer à la mi-journée dans les rues coloniales à la recherche de quelques églises perchées au sommet des collines peuplant la ville.

Pardon… mais c’est trop bon…

Toujours avec pour règle n°1 d’écouter les locaux, je fais demi-tour lorsque durant mon ascension une passante m’avertit de la présence régulière de patrouilles de police malintentionnées. En effet, ici, les histoires de police corrompue sont nombreuses : racket, arrestation abusive, violences… Bref, je passe mon chemin et tant pis pour la vue.

J’avais pourtant bien envie d’aller y admirer la vue…

Ma visite au marché artisanal s’éternise avec une pluie diluvienne qui paralyse les piétons dont je fais parti pendant que les quelques véhicules tentent de finir leur trajet avant de se transformer en bateau. Je comprends maintenant pourquoi la hauteur des trottoirs même s’ils restent glissants et peu pratiques (me poussant d’ailleurs à marcher au milieu de la route dans plusieurs centimètres d’eau plutôt que de prendre le risque de connaître le goût de la chaussée mexicain).

Tu me crois si je te dis que cinq minutes avant il faisait beau ?

Tant pis pour la pluie, l’envie de marcher est plus forte. Je finis par arriver jusqu’au musée qui m’intéressait (et évidemment c’était le plus loin), porté sur la culture maya et plus précisément leur médecine. Petits aperçus de la marche et de l’ambiance étonnante du musée…

Traditionnellement, on retrouve 5 spécialités :

  • Le rebouteux traite les maladies des os, les fractures et tout ce qui est lié au squelette
  • L’herboriste connaît bien des plantes médicinales et comment les utiliser. Pour obtenir l’autorisation de couper des plantes, il réalise une cérémonie à l’attention de Mère Nature. Certaines se coupent le matin, d’autres le soir ou la nuit. L’une d’elle est le tabac ou « moi » utilisée -toujours après broyage- pour chasser les mauvais esprits et certains animaux.
  • La sage-femme s’occupe de l’accompagnement à la grossesse et la naissance mais soigne aussi les maux spécifiques aux femmes.
  • Le prêtre des montagnes honore l’esprit des montagnes qui assure s’il est satisfait l’abondance et l’absence de maladie et d’autres problèmes.
  • Le preneur de pouls (je ne vois pas comment le traduire autrement) peut s’ouvrir au monde invisible pour sauver l’âme de son patient. Il réalise son diagnostic en prenant le pouls entre le cœur et la tête et « écoute » le sang pour comprendre le mal du malade.
La croix chez les Mayas après l’arrivée des conquistadors… représentant pour eux les quatre points cardinaux et au centre l’arbre de vie. Les prêtres de l’époque ont dû se renseigner sur les croyances locales pour amener doucement les populations vers les leurs.

Le reste du musée explique davantage les conditions de vie et se conclut en dénonçant la biopiraterie. Pour faire simple il s’agit de l’appropriation, du vol ou du brevetage de ressources naturelles (plantes, animaux, minéraux…) et de connaissances indigènes de la part d’enquêteurs, d’universités, de laboratoires, d’entreprises pharmaceutiques et de gouvernements (en particulier des pays développés), pour une exploitation commerciale sans l’autorisation et la reconnaissance de ses créateurs ou ses innovateurs ni compensation juste et proportionnelle aux bénéfices. À côté de l’encadré, on trouve alors tout une liste de drapeaux et de logos : Bayer, Monsanto, Sanofi aventis, Ecosur, l’université de Géorgie… Ainsi qu’une déclaration signée par un Conseil réunissant des organisations de médecins et sage-femmes indigènes. Pour en savoir plus, c’est ici !

Bon, par contre, j’étais absolument pas prêt à regarder la vidéo d’un accouchement en intro du musée.

Le reste de mon temps libre dans la ville de San Cristobal est organisé en fonction de la météo. En ces débuts de saison des pluies qui s’inaugure au-dessus de ma tête, il faut surtout profiter de la matinée pour sortir et espérer être rentré à temps pour éviter de devoir sécher ses chaussettes au coin du feu.

Je profiterai de la rencontre d’une amie de Mélanie, Flavia, argentine et professeure de danse, pour travailler quelques pas de salsa et ma compréhension de l’accent de Buenos Aires.

Avant de quitter la ville pour m’aventurer dans la jungle, je visite un petit village d’irréductibles Tzotziles qui continuent d’honorer les coutumes de leurs ancêtres mayas et continuent de résister aux autorités religieuses et laïques du Mexique. Si mon passage y est extrêmement bref, c’est notamment en conséquence du sentiment général pesant qui suit mes déplacements. Les regards sont jugeant et les propositions commerciales très insistantes.

L’église de San Juan Chamula.

Le tourisme autour de ce village ne tourne qu’autour de sa place centrale pour son église toute particulière. Pour citer le guide Michelin qui en décrira bien mieux son contenu que moi, « dès que l’on en franchit la porte festonnée de couleurs acidulées, on est saisi par une ambiance irréelle. La nef a été débarrassée de ses bancs – tout comme du curé, autorisé à n’y mettre les pieds qu’une fois par an, le 24 juin, pour baptiser les enfants. Les villageois n’en sont pas moins chrétiens. Ils vénèrent avec ferveur Saint Jean-Baptiste […].

Remarque les épines de pin au sol.

Des centaines de chandelles éclairent les groupes de fidèles venus vénérer les statues des saints alignées le long des murs et consulter le chaman afin de se délivrer des maux du corps et de l’esprit. Le mal est expulsé sous la forme d’un rot (remarquez les boissons gazeuses prévues à cet effet) avant d’être absorbé par les aiguilles de pin fraîches jonchant le sol. »

À mon passage, je tente de me faire le plus discret possible face aux nombreuses familles assises devant des petits ensembles de bougies où celle que j’assimile à la grand-mère prie à voix haute en maya tout en exécutant une cérémonie surprenante. Des herbes sont placées sur les côtés, près des sodas ainsi que deux poulets dont elle brise la nuque en guise de sacrifices. Autant te dire que l’ambiance de cette église est unique.

Il y a un certain talent quand même à ne pas mettre le feu avec pareille quantité de bougies…

Jeudi 8 juin, départ en pleine nuit pour se rendre jusqu’à Palenque afin de visiter des ruines mayas dans la jungle. Sur le chemin, deux étapes sont faites pour profiter de la fraîcheur de cascades délicieuses à tous points de vue.

En plus de la rencontre d’un couple de jeunes étudiants français fort sympathique Yann et Leïla, je fais la plus surprenante connaissance d’un serpent se prenant pour une liane et d’un lézard oubliant ses pattes avant pour mieux courir.

Accueilli par quelques singes hurleurs, les ruines de la cité de Palenque illustrent le génie des bâtisseurs mayas parvenus à dompter la pierre et la jungle. Avec à peine 2 % du site exhumé, le reste étant encore sous une couche de terre et de végétation importante, les lieux sont régulièrement en travaux afin de reconstruire et renforcer les vestiges. À la fois protégée et tenue prisonnière par la forêt, il faut l’imaginer 1400 ans plus tôt dans sa splendeur avec ses temples grandioses et polychromes.

En orange les bâtiments excavés.
Cette vue aérienne rend le site encore plus mystique… Observe la densité de la jungle autour et imagine les autres ruines à proximité qui attendent d’être dévoilées…

C’est au cours du 7e siècle que la cité devint l’un des centres les plus florissants de la région, particulièrement sous les règnes de Pakal II et de ses fils. Si les mayas vivaient en moyenne 40-45 ans (avec une taille de 130 à 170 cm), ce souvenir en a vécu 80 pour 68 ans au pouvoir. Le temple qui lui est dédié et où reposait ses restes contient donc autant de marche pour arriver jusqu’à son sommet. Sur les flancs des escaliers, on compte 9 étages en lien avec les 9 dieux de la cosmologie maya ou encore les 9 niveaux de l’infra-monde.

Le Temple des Inscriptions.

Afin de conserver le pouvoir, les familles appartenant à l’élite pratiquaient l’inceste. Les déformations comme les six doigts aux mains de Pakal II étaient donc parfaitement normales et vénérées.

Aux côtés du Temple aux Inscriptions que je viens d’évoquer se tient le temple XIII où fut découverte la tombe de la reine rouge. Le sarcophage conservait le squelette d’une femme (potentiellement la femme de Pakal II) couvert de cinabre.

Les dernières études dévoilent l’absence de lien de sang avec Pakal II.

Ce pigment minéral de couleur rouge tout comme le mercure étaient fortement utilisés à l’époque que ce soit pour la décoration des bâtiments… voire, selon mon guide, pour protéger les lieux sacrés des pilleurs (ce qui voudrait dire qu’ils connaissaient la dangerosité pour la santé de ces éléments, ce qui reste à prouver). Aux côtés de sa dépouille reposaient deux victimes sacrificielles. Et oui, les mayas y avaient également pris goût. Dans un autre temple, une jeune femme a d’ailleurs été enterrée vivante pour accompagner un noble dans l’au-delà. Joyeux, non ?

Le guide propose aux volontaires du groupe de faire un tour dans la jungle pour un petit extra. Hésitant, la curiosité l’emporte. Si clairement le résultat est décevant (une troupe d’éléphants est plus discrète), c’est l’occasion de découvrir un peu plus du lieu mystique. En effet, une partie du site étant fermée au public pour cause de travaux alors que les prix augmentent toujours, une très mauvaise habitude qui deviendra systématique sur le reste de mes visites archéologiques au Mexique.

Un caoutchoutier à partir duquel on faisait la balle du juego de pelota.
Une arbre qu’on peut encore à peine apercevoir, étouffé par un arbre liane…
Une petite termitière. J’ai goûté quelques-unes de ses habitantes et ça a clairement goût de bois. Original !

Je quitte enfin la jungle (pour quelques heures) et ses 41°C (sans parler de la température ressentie) pour gagner mon bus qui me mènera 6h plus tard dans le village de Xpujil, à proximité d’une autre cité maya, Calakmul.

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