Jours 277 à 283 – samedi 24 à vendredi 30 juin 2023 – Cobán, Lanquin, Semuc Champey, Huehuetenango, Quetzaltenango (Xela) – Guatemala
Une jambe cassée, un trajet de bus plus douloureux qu’une nuit à dormir sur une chaise, une randonnée tyrannique pour les jambes, en bref ma première semaine au Guatemala.
Le trajet depuis Flores me demande toute ma concentration pour ne pas tomber malade. Au programme, des virages serrés, des dos d’âne tout sauf normés et la conduite imprudente d’un conducteur qui semble s’offrir une passion pour l’usure des freins (ma théorie est qu’il a un deal avec le chiropracteur du coin). Huit heures ainsi me font apprécier l’arrivée en plus d’être à ma surprise dans un petit paradis où je logerai trois nuits.
Une grande yourte sert de dortoir où je suis le seul habitant (enfin jusqu’au crabe qui s’incruste dans mes affaires et m’accélère le palpitant un bon matin). Installée le long d’une rivière, elle rejoint en quelques pas une piscine naturelle creusée sur le lit du cour d’eau et qui donne sur un restaurant bon marché et goûtu. Des hamacs entre les piliers du bâtiment ouvert et un billard au milieu de cette structure en bois recouverte d’une toiture en paille rend le tout parfait à mes yeux.
Deux activités m’attirent ici : les grottes partiellement immergées à explorer à l’aide d’une simple bougie et les bassins de Semuc Champey. Si le reste de mon temps ici sera dédié à profiter de la magie du lieu au calme pour mon plus grand plaisir, je consacre une journée à ces deux activités. C’est le jour des élections ici qui sont à la fois présidentielles, régionales et municipales. Tous les villages voisins viennent donc voter ce dimanche ce qui causent une sacrée agitation à Lanquin.
Mon guide, surnommé Chiqui, vient de l’une des nombreuses communautés vivant dans le pays, directe descendante du peuple Maya. En l’observant, je remarque qu’il est tout esquinté et j’apprends que c’est à la suite d’un éboulement durant un trajet à moto cinq jours plus tôt. S’il a de la chance d’être encore là sans davantage de séquelles, on ne peut pas en dire autant de la famille qui le précédait. Reconnaissant envers Dieu, il m’explique qu’il ne peut pas se permettre de se reposer davantage pour une question financière.
Cela fait écho à la responsabilité qui pèse sur de nombreux jeunes qui doivent partager leurs revenus avec leur famille pour l’aider à survivre. Et pour cela, quoi de mieux que d’aller gagner sa vie à l’étranger ? Si je ne vois pas un seul pays d’Amérique latine y faire exception, certains de mes interlocuteurs pensent que sans ces jeunes personnes courageuses, l’économie du Guatemala s’effondrerait et la malnutrition ne ferait qu’empirer. Quand on sait que seulement 30% de la population active occupée à un emploi déclaré, le reste étant donc des emplois improvisés, il est facile de l’imaginer. Et ce sans mentionner les enfants qu’on voit travailler dans les zones rurales.
À l’entrée de la grotte et rejoint par Danni, un autre jeune homme du coin qui veut devenir guide, nous voilà à nous aventurer dans l’obscurité de la grotte de quelques 13 km de long. Une poignée de cierges blancs à la main, nous voici parti pour découvrir les mille premiers mètres de cette caverne. Ma bougie n’éclaire pas grand-chose et me brûle les doigts à chaque nouvelle goûte de cire liquide. Je suis donc mes deux compagnons au pas.
Les pierres sont glissantes, la profondeur varie régulièrement, parfois jusqu’à m’engloutir. Des rochers sont parfois dissimulés sous la surface et doivent être évités. Pas simple à une main en tenant ma seule source de lumière de l’autre. Les échelles ne sont pas pratiques et je réalise la dangerosité du lieu en les escaladant. Trop tard pour faire demi-tour. Je ne prends pas de risques supplémentaires quand on me propose de grimper une paroi avec une corde. Chose que le groupe qui nous suit n’hésitera pas à faire. Et bien sûr, cela tourne mal.
Une jeune femme s’est lancée le défi, encouragée par son guide. En lâchant la corde à peine l’ascension entamée, elle atterrit sur une de ses jambes. Le choc est si violent que son tibia et son péroné se sont rompus au point de s’offrir à la vue du reste de la bande. Le responsable est tétanisé et incapable de prendre une décision. C’est donc Chiqui qui, toujours faible sur ses jambes, la transporte et la sort sur son dos. Huit personnes la mènent jusqu’à un tuk-tuk pour rejoindre l’hôpital le plus proche à 2h de route, sûrement plus avec le trafic lié aux élections.
Zéro sécurité, zéro formation médicale, zéro organisation. Ici, on fonctionne au bon sens et on improvise. De nombreuses personnes se soignent encore avec des plantes. On ne devient pas guide avec un diplôme mais on le devient parce que c’est une opportunité de travail à proximité. Impossible de se permettre de juger la situation, elle est ce qu’elle est et impossible de comprendre totalement le quotidien de cette part de la population sans la vivre.
J’observe simplement comment on s’adapte, on accepte quand ça tourne mal avec une certaine sérénité. Je ne crois pas avoir déjà surpris des personnes s’énerver, crier, pleurer en public. Avec une forme de pudeur, je finis par apercevoir la dureté du quotidien et les attentes souvent distinctes selon le genre.
Une heure plus tard, l’accident appartient au passé et la journée se poursuit avec la visite de cascades puis une balade en se laissant dériver sur la rivière à bord d’une bouée. Pour gagner la vue sur les formations naturelles de Semuc Champey, j’affronte une fois de plus un escalier interminable. Le T-shirt bien sûr trempé dès la deuxième minute, c’est un véritable soulagement que d’aller piquer une tête dans les eaux fraîches de ces piscines fonctionnant en vases communicants.
En repartant pour Cobán, je dois faire face une fois de plus à une forme désagréable de solidarité souvent observées dans les petites communautés. Personne ne souhaite me dire le prix du bus que je prends. Mon voisin fini par s’y risquer en m’annonçant un prix élevé et m’expliquant que cela dépend des compagnies. Je le surprends ensuite à montrer de la main le prix qu’il m’a annoncé au contrôleur qui tente de m’arnaquer alors. Après un échange tendu, il finit par m’ignorer en attendant que je cède. C’est mal connaître la famille Mouette et il finira par me faire payer le prix officiel. Si je n’ai aucun problème à négocier et parfois à ressortir perdant, c’est parfaitement illégal de mentir sur un prix arrêté et auquel cas, je n’ai aucun scrupule à tenir ma position.
Cela fait parti du quotidien du backpacker en dehors des sentiers battus je suppose. Les interpellations au marché et au terminal aussi. Tout le monde tente de me faire monter dans un bus que je ne veux pas emprunter, sachant qu’un direct existe pour ma prochaine destination. Je finis par le trouver et me voilà dans un minibus plein à craquer.
Sur les 4 sièges de la banquette, on me demande de me pousser pour laisser la place à un cinquième puis on finit par y ajouter deux petites-filles qui finissent sur mes genoux. Cocasse ? Certes mais surtout douloureux. Mes jambes sont en biais. Tu connais l’expression « avoir le cul entre deux chaises » ? Imagine-toi la vivre pendant 7h avec en plus de ça un siège plus haut et plus avancé que l’autre.
Mon passage à Huehuetenango se résumera alors à une simple nuit dans cette ville au trafic dense et à la pollution conséquente. Avant d’en partir le matin, je fais la rencontre de Maria, jeune trentenaire avocate et maman qui m’invitera à connaître un impressionnant mirador sur la cité et ses alentours montagneux. Au fil de nos conversations, je me lie rapidement d’amitié pour elle, admiratif de son parcours de vie et de sa détermination,
Je la quitte dans l’après-midi pour passer trois nuits à Quetzaltenango. Je retrouve un courageux compagnon d’auberge rencontré sur ma précédente étape, entreprenant la traversée de l’Amérique latine en vélo. Après m’être offert le luxe d’un massage pour tenter de faire partir les douleurs de dos dues à mes récents trajets en bus, je propose une randonnée à l’aube à Roel. Nous partons à 5h30 pour éviter la chaleur.
L’ascension est de courte durée mais sacrément cassante avec sa partie pavée, son dénivelé et ses marches (encore). En 2h nous voilà dans le cratère du volcan Chicabal où règne un lac sacré pour les mayas (et encore aujourd’hui pour ses descendants). L’étendue d’eau est bordée de nombreuses fleurs et bougies déposées lors des régulières cérémonies qui se tiennent ici. Roel et moi nous lançons alors dans un shooting photo pour obtenir le meilleur cliché.
En repartant, nous voyons un régiment de touristes arriver en voiture jusqu’aux escaliers pour descendre au cratère. Quelle joie d’être partis si tôt ! Adieu la paix du lieu.
Je conclus mon aventure à Xela, nom maya de la ville, avec un cours de salsa en ligne (elle se pratique aligné à son partenaire, je ne parle pas d’un cours sur le net) qui m’aura donné quelques nœuds au cerveau.
Enfin, je retrouve Maria qui se propose de m’emmener au lac Atitlán et me faire découvrir le lieu qu’elle préfère au monde. Si le lac semble un incontournable, je sais qu’il y a de nombreux lieux festifs ou touristiques à éviter pour l’authenticité que je cherche. Quel joie d’avoir une guide locale !