Jours 250 à 252 – dimanche 28 à mardi 30 mai 2023 – Oaxaca – Mexique
Pour me rendre à Oaxaca, j’entame une longue journée de bus ponctuée de bouchons liés à un poids-lourd renversé sur la voie rapide et les cendres du volcan Popocatépetl fortement actif ces dernières semaines au point d’avoir forcé l’évacuation de son périmètre proche.
Arrivé tardivement, c’est seulement le dimanche que je commence à profiter de l’ambiance de la « cité de jade » (tirant son nom à la fois de la pierre trouvée localement et des pierres verdâtres utilisées dans les constructions) classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Sous son climat tempéré dans une vallée cernée par les montagnes, elle fut un lieu de croisement pour de nombreuses civilisations mésoaméricaines.
Construite au XVIe siècle en Nouvelle-Espagne, à partir d’une place centrale, elle est un exemple d’urbanisme colonial. Elle a conservé son importance politique, religieuse et économique et séduit encore pour la vitalité qu’elle renvoie. Je me perds plusieurs fois dans ses parcs ombragés et ses terrasses animées pour ma plus grande sérénité. Chaque fois surpris par de nouvelles célébrations -de jour comme de nuit- et une nouvelle église parmi la trentaine qu’abrite la ville.
Capitale de l’État homonyme, la région a la réputation d’être l’une des plus vindicatives en matière de protestations avec des grèves à répétition ayant notamment marqué l’année 2006. Le syndicat des enseignants s’était mobilisé et avait fini par faire fermer les portes des écoles pour obtenir une augmentation des salaires. La répression et l’absence de dialogue a laissé la situation s’envenimer et dégénérer. Pendant plusieurs années, les périodes d’accalmies ont été rompues par d’autres protestations en lien à la politique menée par les gouvernements. Et aujourd’hui encore, lors de mon passage, il semble que des manifestations et blocages aient toujours lieu sans en connaître les causes.
Sous tutelle aztèque depuis moins d’un siècle à l’arrivée des conquistadors, la ville est fondée en 1529 sur le site d’une ancienne garnison aztèque. Hernán Cortès, après s’être vu retiré le titre de gouverneur de la Nouvelle-Espagne, se voit attribué le titre de marquis del Valle de Oaxaca et la majeure partie des terres de la région.
On appelle l’âge d’or la période où la conquête spirituelle a pris le relai sur les armes. Les Indiens sont convertis en masse et la ville prospère notamment grâce au commerce de la cochenille et au textile. L’agriculture se développe quitte à éloigner davantage les locaux de leurs terres et les réduire à un statut proche de l’esclavage. En parallèle, le monde artistique se développe grandement et l’héritage est encore visible avec le nombre de galeries et de marchés d’art qui sont présents dans le centre-ville.
Avec 40 % de population issue de communautés indiennes, je découvre les habits traditionnels et les traits qui contrastent avec les touristes et les mexicains issus de métissages. La froideur de certains regards et la tentative insistante de vendre des produits artisanaux ne m’avaient pas manqué mais je n’oublie jamais que je suis chez eux et que je dois rester humble. J’ai parfois la chance d’entamer un échange hasardeux et une fois cette barrière passée (parfois bien réelle, parfois imaginée), je tombe souvent sur des personnes fières de partager leurs histoires et leurs traditions.
C’est d’ailleurs ce qui m’arrive en errant au marché du 20 novembre où je m’aventure à goûter des mets locaux dans les cantines. Un jeune garçon insiste même pour m’offrir une boisson aromatisée aux fruits accompagnant habituellement les repas. J’ai aussi la chance de goûter l’une des spécialités de la région, les sauterelles grillées ! Miam !
Ma première journée est incroyablement riche avec certaines visites marquantes comme l’église au plafond orné d’un arbre généalogique doré et l’ex-couvent de Santo Domingo transformé en musée. Ce dernier abrite une bibliothèque simple mais élégante dont l’atmosphère me marquera ainsi qu’une collection d’objets des civilisations s’étant succédé sur le territoire.
Ce dimanche se termine en rencontrant Suhey qui est originaire de la ville et me fait découvrir d’autres quartiers et quelques bonnes adresses pour se remplir la panse. Nous assistons à une procession dans la rue à l’attention d’un Saint. Une fois honoré à l’église, la fanfare s’enjoue et des mexicains se portent volontaires pour porter des figures de papier mâché gavés de feux d’artifices explosant au-dessus de leurs têtes pendant qu’ils dansent parmi la foule.
Conclusion en beauté avec la mise à feu du castillo (une tour appelée « château ») dont la tête finie par s’envoler telle une comète avant de laisser place à un feu d’artifices. Un régal tant pour l’ambiance que pour la sollicitation des sens.
Si la région regorge d’activités et de lieux merveilleux à visiter, je tente de me concentrer sur ce qui m’attire le plus tout en faisant attention au budget. Il est évident que je ne pourrai pas tout visiter. Aussi, je décide de participer à un tour pour connaître le site de Monte Albán.
Nichée sur un plateau à 400 mètres au-dessus de Oaxaca, la cité de plus de 2500 ans n’a cessé de se développer au fil des ères et des civilisations. Il aura fallu une rigueur colossale et une vision grandiose pour arriver à pareil résultat.
Pour donner une idée de l’importance du lieu en tant que carrefour des civilisations, je me prête à une courte chronologie :
- Monte Albán I (-500 à -100) : fondation de la cité, influence olmèque
- Monte Albán II (-100 à 200) : période préclassique, construction de l’observatoire astronomique (dont les enseignements étaient obligatoires durant l’enfance)
- Monte Albán III (200 à 900) : période classique avec une forte influence de Teotihuacán et plus secondairement de la civilisation olmèque (céramique, figurines…), la ville Zapotèque devient un centre administratif et religieux. À partir des années 800, les grandes cités commencent à décliner et le pouvoir se décentralise vers de plus petites cités.
- Monte Albán IV (900 à 1200) : période postclassique ancien, les Zapotèques s’installent à Mitla. La cité est alors occupée par le peuple Mixtèque qui va réutiliser les édifices pour en faire notamment des tombes richement honorées.
- Monte Albán V (1200 à 1521) : postclassique récent, les Zapotèques et les Mixtèques mettent leur rivalité de côté pour résister aux Aztèques au 15e siècle. Cela jusqu’à l’arrivée des Espagnols.
Le guide m’explique qu’il a fallu être assez audacieux pour construire cette cité divine qui offrait une vue lointaine sur les trois vallées voisines. Sans cours d’eau, il a fallu construire des canaux et des réservoirs. L’aplanissement a duré plus de deux cents ans pour arriver à pareil résultat.
Le peuple Zapotèque ne faisait pas de sacrifice humain à l’exception du Nouvel An (trop de Champomy et ça est ça dégénère). Sans un grand pouvoir militaire, il semble avoir excellé au jeu d’alliances. Si la quasi-totalité des constructions à vocation d’habitation ont disparu (utilisation de matériaux périssables), quelques monuments marquants subsistent, en dehors des pyramides toujours aussi captivantes :
Après cette incroyable visite, nous visitons un petit musée dédié à un art mexicain populaire. Il s’agit des alebrijes, sculptures représentants des créatures fantastiques (parfois mélange de deux animaux ou plus, d’autres fois mélange entre un animal et un humain). Aujourd’hui, Manuel Jiménez a contribué à populariser ces êtres sous forme de sculptures sur bois colorées dont tu auras sûrement eu un aperçu dans le film “Coco” de Disney.
Mon guide m’apprend d’ailleurs que dans la culture Zapotèque qui lui a été transmis, il peut préciser selon la date de naissance quel est le nahual (soit l’animal intérieur) et le tonal (l’animal extérieur). Pour ma part, ce sont respectivement la tortue (symbole de sagesse) et le hibou (synonyme d’intelligence, capable de persuasion, de reconnaître les mensonges et de donner de bons conseils). La classe !
Fin du voyage dans les environs de Oaxaca avec une courte visite chez un artisan-potier nous présentant son savoir-faire et le procédé de création. Cela avant de nous lancer le défi de produire quelque chose par nous-mêmes. Impossible de vivre ce moment sans avoir en tête la scène et surtout la musique du film « Ghost ».
Il est temps de m’aventurer dans les montagnes brumeuses de San José del Pacifico à quelques heures au sud de la ville où j’espère pouvoir me couper du monde quelques jours et profiter d’une retraite méditative de qualité.