Jours 275 à 276 – jeudi 22 à vendredi 23 juin 2023 – Flores, Tikal, Yaxha – Guatemala
L’entrée dans le territoire guatémaltèque ne laisse pas indifférente avec une quantité monumentale de déchets sur le bord de route à en faire serrer la mâchoire. Premier indice d’un niveau de vie distinct dans ce nouveau pays visité. La variété des paysages et les infrastructures me feront fortement pensé à la Colombie pour ses bons côtés comme ses moins bons.
J’arrive tout d’abord sur l’île de Flores, ancien village maya sur un lac, rasé pour mieux le reconstruire par les Espagnols. Ce bout de la ville semble dédié au tourisme et sa beauté repose sur l’éclat des panoramas colorés offerts par les alentours dégagés lors des levers et couchers du Soleil.
Pas question de piquer une tête dans le lac qui regorge de gros reptiles amphibies aux mâchoires acérées.
Yaxha et son lac homonyme
Je passe trois nuits sur place afin de visiter deux lieux centraux de pouvoir chez les Mayas que sont Yaxha et Tikal. Le premier, moins connu, m’offrira son lot d’émotions. En me séparant de mon groupe qui se paie une activité extra, cela me donne l’opportunité de passer un moment magique et hors du temps, sans croiser âme qui vive. Pour avancer discrètement et rester à l’affût des moindres sons, je me mets pieds nus en considérant chaque pas, notamment face aux colonnes de fourmis piquantes qui sont légions.
Au-dessus de ma tête, des branches s’agitent et laissent remarquer la présence discrète de singes-araignées dont l’agilité due à leur cinquième membre est la raison de leur appellation. Un son rauque vient de loin et paraît menaçant. En quête de son origine, j’erre dans ce four de végétation entre des ruines dont la majeure partie n’est pas excavée. Un serpent plus tard, je découvre l’origine de ce raffut : des singes-hurleurs. Par chance, aucun primate ne m’a récompensé d’une golden shower pour me chasser de son territoire.
Ma visite se poursuit avec Saul et son groupe que je retrouve en fin d’après-midi. J’apprends que les nombreuses cités de cette jungle étaient pour la plupart reliées par des routes commerciales au sens littéral comme figuré. En effet, j’ai devant moi un passage ouvert et large de plusieurs mètres délimité par des pierres taillées. Le travail nécessaire pour dégager la végétation millénaire laisse entendre que je n’en croiserai pas d’autres aussi bien conservées. Sur les bords, on retrouve parfois des canaux pour irriguer les cités et remplir les citernes enterrées en cas d’absence de réserve d’eau.
Surprise de taille avec les mascottes de Yaxha. Saul attire hors de son antre une jolie dame poilue à l’aide d’un petit brin d’herbe qu’il remue à l’entrée d’un trou à même le sol. Si je ne crains pas spécialement les araignées, la démonstration du fonctionnement de ses crochets refroidit l’ensemble du groupe et je dois désactiver le cerveau un instant pour accepter de mettre cette mygale sur ma main. Sacré renforcement musculaire des fessiers assuré sur le moment.
Ce tour se conclue majestueusement avec l’escalade de la plus haute pyramide du site pour observer un coucher de Soleil certes timide mais dans un silence religieux pour mieux profiter de l’éveil de la jungle qui nous entoure. Sensations garanties.
Tikal, cité des pyramides jumelles
Ciao Saul et bonjour son frangin, José, qui sera mon guide pour cette nouvelle visite. Il est 4h30 et j’espère bien que cela me permettra d’observer quelques bestioles avant que la chaleur n’envahisse les lieux.
L’entrée du site est marquée par l’arbre national du Guatemala, un ceiba. Chez les Mayas, il est sacré et symbolise l’axe du monde. Ses fruits au contact du feu s’enflamment d’une traite, de quoi facilement renforcer les croyances autour de ce végétal. Imagine en Europe, une pomme se consume en une fraction de seconde à la première étincelle. Je suis sûr que cela aurait eu un impact sur l’Histoire (ouais, carrément).
La cité de Tikal est peut-être l’une des plus importantes que j’ai pu visité. Rivale de Calakmul et son alliance, la guerre a fait rage dans cette région à travers les siècles. Les dernières recherches évoquent la possibilité d’un demi-million d’habitants uniquement dans les alentours de cette capitale (jusqu’ici on parlait d’une centaine de milliers d’âmes). Tikal est connue pour être la cité des pyramides jumelles renvoyant au thème de la dualité, omniprésent dans la civilisation maya : le jour et la nuit, la vie et la mort, l’homme et la femme, la lumière et l’obscurité…
Les temples sont parfaitement axés et construits en fonction des quatre points cardinaux. Tous sont orientés à l’ouest ou à l’est pour suivre la courbe de notre étoile, faisant que le Soleil s’aligne parfaitement aux équinoxes le 21 mars et le 21 septembre.
Le site est immense (la zone résidentielle couvrait 60 km² à elle seule) et les pyramides imposantes avec leur hauteur de quelques 70 m. Ce qui ne manqua pas d’inspirer d’ailleurs l’une des plus grandes sagas de l’histoire cinématographique au passage…
Le calcaire utilisé pour la construction était d’origine locale et exploité sur place. Les cavités formées étaient alors plâtrées et cette imperméabilisation permettait de retenir l’eau. Pour la construction des bâtiments, les pierres calcaires étaient jointes à base d’un mortier obtenu par le brûlage du bois sur 2-3 jours (ce qui explique la déforestation de l’époque). La surface était alors recouverte de stuc (obtenu en brûlant le calcaire), sur 5-6 cm, afin de les imperméabiliser. Les places étaient recouvertes de la même matière et légèrement inclinées afin de permettre la récupération des eaux.
Quand je pense que toutes ces structures ont été réalisées sans l’aide d’animaux domestiques comme ce fut le cas pour les plus grandes constructions européennes. Et oui, ici pas de chevaux, de bovins ou de caprins. Mais une faune bien riche dont quelques espèces observées ici :
Lors de ma visite, j’ai la surprise d’observer une cérémonie tenue entre les deux pyramides les plus célèbres dans la place centrale de la capitale. De nombreuses personnes sont venues en habits traditionnels et tournent autour d’un feu alimenté sur une pierre d’offrande circulaire.
C’est l’heure pour moi d’aller me perdre un peu plus dans les ruines et après un petit moment de tranquillité, se mettre en quête de quelques crocodiles (encore une fois, sensations garanties) et conclure en évoquant un peu plus l’univers de cette civilisation.
Cosmologie maya
Il existe trois plans selon la cosmologie maya. Le ciel est composé de 13 niveaux, chacun dirigé par une divinité. L’oiseau Muan se situe dans le niveau céleste le plus élevé. Les Cieux étaient soutenues par quatre Bacabs, des êtres divins puissants, à chaque angle.
La Terre connaît plusieurs cycles de 5200 ans avant de renaissance et destruction. Le premier monde abrite des nains bâtisseurs de cités nommés Sayam Uinicob. Les premiers rayons du Soleil changèrent cette espèce en pierre et le tout fut emporté par une grande inondation. La nouvelle espèce créée se nomme les Dzolobs dont le nom signifie les transgresseurs. On n’en sait pas beaucoup plus si ce n’est qu’elle a dû avoir l’arrogance de ne pas suivre les règles pour être effacée à nouveau par une inondation sortie de la gueule du Grand Serpent Céleste.
Le troisième monde perdure encore. Les 4 Bacabs et 3 divinités le façonnèrent (donnant pour symbolique de ce monde le chiffre 7) et firent sortir les terres et végétaux des eaux. Les animaux n’ayant pas la capacité de parler et donc d’honorer les Dieux, ils furent condamnés à être chassés et dévorés.
La création des hommes par les Dieux connue plusieurs échecs. Souhaitant être honorés, ils essayèrent à base d’argile puis de bois avant de se résoudre à utiliser le maïs (qui se dit « maya » dans leur langue) sur les conseils de différents animaux. Les 4 couples ainsi façonnés étaient alors rattachés à un point cardinal, un élément et une couleur : au nord, l’air et le blanc ; à l’est, le feu et le rouge ; au sud, l’eau et le bleu ou le jaune ; à l’ouest, la terre et le noir. Craignant que les humains soient aussi savants qu’eux, les Dieux obscurcirent leurs visions pour les concentrer sur leurs vies quotidiennes.
L’inframonde enfin se compose de 9 mondes, chacun dirigé par une ou plusieurs divinités dont le gouverneur n’était autre que Yum Kimil ou Xibalbá, le seigneur de la Mort. Il accueille en plus des morts (y compris les « bonnes personnes ») les astres célestes comme la Lune et le Soleil qui meurent et renaissent chaque jour. Pour rentrer dans ce monde, il existe des portes. Je pense par exemple à la pyramide du devin sur le site de Uxmal dont la porte au sommet affiche une gueule ouverte donnant sur l’intérieure de la structure. Entrer et sortir de ce monde était un privilège réservé à quelques personnes seulement.
Le monde était représenté comme reposant sur le dos d’une tortue ou d’un crocodile. Le ceiba, l’arbre sacré évoqué plus tôt, communiquait entre les trois mondes (racines, tronc, cime) et se tenait au centre du cosmos maya. Entre les noms qui changent selon les régions et les époques voire les civilisations, c’est un travail d’expert que d’avoir enfin une vision globale. Par exemple, le dieu du vent Quetzalcóatl -aussi appelé Kukulcán et Gucamatz- était honoré à Teotihuacán, chez les Aztèques et chez les Mayas. Certains dieux n’ont même pas de noms et on en découvre encore de nouveaux aujourd’hui. Le panthéon maya compte plus de 250 divinités à l’heure actuelle.
La dualité de notre époque
Cela faisait longtemps que je voulais présenter ce dernier aspect de la civilisation maya qui m’a grandement fasciné. C’est donc chose faite et j’espère que mes recherches et ma mise en forme auront rendu l’expérience ludique et claire. Le thème de la dualité est devenu un leitmotiv de ce premier mois de voyage et aura pris une signification particulière à mes yeux, à l’heure où elle est tire sur l’extrême et qu’a contrario un autre courant tente de la rejeter. Je pense notamment aux récits de notre époque : les anti-héros, la question du genre… J’apprécie moi-même toujours chercher la zone grise et ne pas voir tout noir ou tout blanc.
En parallèle, on observe un jugement rapide et immédiat de ce qui est bien ou mal, sans réflexion. Je pense aux médias et en particulier les réseaux sociaux. J’ai comme la sensation qu’il y a un jugement pour tout ceux qui oseraient ne pas aller dans le sens de la Pop Culture et ce qu’elle admet comme positif et “cool” (Mario, Andy Warhol, Bad Bunny, le foot, les chats, etc.).
La moindre sortie de piste est alors vite condamnée et amène une uniformisation de la pensée (et sûrement une standardisation de la culture). Face à cette nouvelle dualité dans laquelle j’évolue, j’ai réalisé durant ce voyage que cela avait forcément un impact. Aussi l’idée de revoir ces opposés comme ils sont et sans opinion en redonnant ma propre définition aux choses est désormais une pensée régulière de vigilance.
Il est temps de revenir au voyage et de varier les aventures. Prochaine étape : les bassins de Semuc Champey et ses grottes inondées à traverser à la seule lumière d’une bougie.