Des momies en première ligne

Jours 167 à 168 – Samedi 8 à dimanche 9 octobre 2022 – Nazca – Pérou

Fraîchement arrivé à l’aube, je suis impatient de voir se dévoiler les surprises que renferment ce lieu réputé mondialement pour les lignes tracées sur son sol il y a des centaines d’années qu’on a découvert seulement récemment grâce à l’arrivée des vols commerciaux. Figures géométriques et formes symboliques variées (singe, colibri, crapaud, arbre…) parfois de plusieurs kilomètres de long ont très vite alimenté les théories derrière le mystère qu’elles renfermaient. Leurs secrets sont d’ailleurs encore bien protégés même si de toutes les explications plausibles entendues sur place, aucune ne semblait alimenter celle en lien avec une vie extraterrestre. Qui sait !

Ma musique “mémoire” du lieu, on change des genres habituels ! Tu peux l’écouter associée à ta lecture si tu veux !

Sur cette région, la réalisation de figures sur le terrain et plus précisément de macro figures visibles à partir du ciel a été pratiquée par l’Homme à de multiples occasions et dans des zones géographiques éloignées l’une de l’autre. Dans différents cas, la plupart de ces tracés ont été effacés par le temps ou par des interventions humaines qui ont superposé les activités géoglyphiques (coucou le gros lézard coupé en deux par une route avant de découvrir les lignes), empêchant d’avoir une vision complète.

Dans le désert de Nazca, la surface présente une patine stable d’un brin rougeâtre foncé produite par l’oxydation au fil du temps sur ce sol pierreux. L’absence d’érosion et de sédimentation ainsi que l’action de l’humidité de la nuit et du vent rasant empêchant l’accumulation du sable ont permis de conserver les dessins à travers les siècles.

La méthode de réalisation était très simple. Pour une ligne, on tendait une corde reliant deux bouts de bois servant de piquets. On retirait alors les pierres pour laisser le sol nu et marquer le contraste avec les pierres rougeâtres de ce désert. Beaucoup de figures se composent d’une seule ligne continue qui ne se croise jamais, avec un point d’entrée et de sortie. Il est difficile de les dater mais les plus anciennes pourraient avoir 2400 ans, réalisées par le peuple Paracas et dont la tradition a perduré (bien que sûrement avec de nouvelles significations) sous le règne du peuple Nazca vers l’an 800. Les incas ont eux-aussi participé à l’œuvre des siècles plus tard (XIVe-XVe siècles). La dernière datation carbone concentre davantage l’exécution entre -200 et 650.

Avec les artefacts retrouvés sur site, on sait que les lignes les plus larges servaient de grandes places et de lieux de cérémonie. Des marches et des danses étaient exécutés en parcourant les dessins dont la plupart étaient vouées au culte de la fertilité et de l’eau. Il y a encore plus d’une centaine de figures en forme de spirale.

Un nom revient régulièrement lorsqu’on évoque les lignes de Nazca, celui de Maria Reiche. Cette femme d’origine allemande a dédié plus de 50 ans de sa vie à nettoyer et préserver les figures endommagées avec le temps sur plus de 3 900 km². En les recensant et les étudiant pour en découvrir la signification, la « dame du désert » comme les locaux l’appelaient a permis l’essor de cette petite ville avec un tourisme imprévu. Bien que d’autres théories existent, la sienne était qu’une partie des lignes servaient à faire le lien avec les corps célestes et prédire les évènements climatiques (changement de saison, phénomènes El Niño et La Niña…). On peut effectivement observer un alignement parfait du Soleil avec certaines créations lors des solstices.

Le panthéon de la culture Nazca avec le félin et l’orque marin comme divinités principales du monde religieux

Pour contempler les lignes de Nazca, la solution la plus commune reste de prendre un petit avion et de les survoler mais l’impact carbone et la sécurité me font opter pour un trajet jusqu’à un mirador. Sur mon trajet retour, j’opte pour le stop et rencontre la famille de Ramos avec qui je partage un déjeuner improvisé. Je découvre que le jeune homme au volant est chauffeur de taxi et que je ne me suis pas du tout fait prendre en stop. Heureusement que je n’ai pas fait un trajet de 10 heures…

Mon périple de moins de 48h à Nazca ne se limitera pas à contempler le sol qui m’entoure. Je me rendrai dans un petit musée caché dont les stars sont des paons venant chercher la fraîcheur de cette ancienne maison. J’y découvre l’histoire des cultures s’étant succéder dans la région.

Si les premières traces humaines remontent à -4400, le peuple Nazca a marqué la région avec sa gestion de l’eau et son agriculture intensive. Les villages étaient en bordure de désert pour maximiser les surfaces agricoles et se développaient autour de pyramide servant de sanctuaire.

Je crois que la solitude commence à avoir des conséquences (si seulement c’était pas déjà comme ça avant…) !

J’enchaînerai avec la visite de plusieurs sites avoisinants la ville. Le premier est un antique cimetière de plusieurs dizaines de kilomètres carrés où s’entremêlent des squelettes à l’air libre à la blancheur éclatante et des momies protégées par un abri donnant la sensation de s’inviter dans leurs maisonnettes. Croiser des crânes humains en se baladant le long d’un sentier n’était pas dans mes habitudes et la sensation de profaner une sépulture dans une forme inédite ne me quitte pas durant ma déambulation.

Le rituel complexe lié à la mort peut être observé sous la forme d’enterrement avec trousseau funéraire (textiles, céramiques, nourriture…). La plupart des morts étaient enterrés en position fœtale ou assis les bras appuyés sur les jambes. Il était attendu plusieurs jours pour effectuer le rituel d’inhumation pour obtenir une regor mortis. La forme de tombe la plus commune était un puits recouvert de bois et de pierres avec pour sceller le recours à une coucher d’argile.

S’ensuit la visite de nombreux puits encore utilisés aujourd’hui. L’esthétique est unique sous leur forme de spirale et leur accès en rampe. Ces nombreux puits côte à côte étaient reliés par un réseau d’aqueducs souterrains.

Quelques kilomètres plus loin, le centre cérémonial de Cotahuasi réalisé en adobe (briques d’argile) est le plus grand du monde avec ses 40 monticules sous forme pyramidale. Entre -400 et 500, c’est un centre théocratique puis une nécropole. Lors de cérémonies religieuses, des têtes humaines de quelconques ennemis étaient offertes et enfouies comme trophées. Certaines voyaient leur front percé pour y passer une corde et les suspendre sur les murs (cf. les photos du musée au-dessus). Voilà de quoi alimenter les idées du prochain catalogue IKEA. Et comme la majorité des peuples pré-incas semble apprécier sa progéniture, on a également retrouvé un enfant sacrifié sur le site et la preuve qu’il était pratiqué la déformation crânienne (par pur désir esthétique, ah la mode) !

Fait intéressant, la civilisation Nazca a décliné assez rapidement suite à une perte de foi de leurs dieux et de leurs prêtres. La raison ? Une inondation (dont le phénomène semblait fréquent dû à l’agriculture intensive pratiquée mais l’ampleur inédite) et un séisme. Des traces du peuple sont encore trouvés plusieurs siècles plus tard tout en ayant laissé l’espace libre au développement de la culture Huari, la seconde culture considérée comme impériale avec les Incas en Amérique du Sud.

Mon séjour s’achève avec une séance ludique au planétarium et un coucher de Soleil sur un lieu énergétique réputé. Le panel de rouges laissera place à une pleine Lune dévorant la lumière des autres étoiles.

Dans mon bus de nuit pour Cuzco où la climatisation et le chauffage en même temps m’empêchent de savoir si j’ai chaud ou froid et me font vite regretter les sensations offertes par cette tombée du jour.

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