Jour 270 – samedi 17 juin 2023 – Bacalar – Mexique
Dernière étape mexicaine à Bacalar où je passe une courte journée pour admirer le fameux lac aux 7 couleurs dont la ville qui la borde se vante. J’ignore si j’en observe tant mais la vue et la qualité de vie du lieu me réconcilient avec cette partie du pays. Je retombe sur Justine rencontrée à Tulum avec qui je partage quelques discussions en plus d’un dîner (des tacos aux crevettes tempura, clairement le meilleur met dégusté depuis mon arrivée mi-mai). À l’approche de mon départ pour le Belize, je m’aventure aujourd’hui à évoquer des aspects du quotidien du voyageur que je suis.
Après bientôt 10 mois de voyage dans les pays latins, j’ai pris l’habitude de certains comportements et différences culturelles.
La première chose qui me vient à l’esprit est la bonté des gens. Si jouer au baroudeur prend une énergie folle en permanence (entre les rencontres, les déplacements, les opportunités, la recherche d’informations et de sécurité…), j’apprécie être la grande majorité du temps bien reçu quand je cherche mon chemin ou autre. La plupart des personnes se laissent approcher et sont heureuses de pouvoir aider. Cela donne d’ailleurs parfois l’occasion de partager un repas ou quelques bons plans. Loin de ses proches, ces petits moments de simplicité et de bienveillance peuvent faire l’effet d’une étreinte amicale bienvenue.
Ma première règle reste celle d’écouter les locaux. Après la traversée de plusieurs pays considérés dangereux, j’ai la chance d’avoir échappé jusque-là à des mésaventures extrêmes (et je touche du bois pour que ça continue). Il y a une forme de bon sens à avoir (j’aime l’expression no dar papaya en Colombie qui pourrait se traduire par « n’attire pas l’attention », « ne tente pas le diable ») et des zones à éviter.
En marchant le soir dans certaines rues, je décide parfois de faire demi-tour ou d’opter pour un Uber (chauffeur référencé contrairement à un taxi). Je ne sors pas mon téléphone à certains endroits. Bref, le b.a.ba du bon sens. Le reste appartient au hasard mais le risque est au moins réduit.
Hors des sentiers battus, j’ai le droit à des regards interrogateurs, amusés mais parfois aussi plus froids. Je me fais appelé « gringo » (surnom donné aux américains) dans la rue et suis sujet à certaines blagues en dialecte local. Je sais être dans une zone touristique dès lors qu’on me parle ou on me répond en anglais (relativement agaçant quand on approche un local dans sa langue d’origine).
La sensation d’être un portefeuille sur pattes est la plus désagréable de mes expériences de voyage. Si je ne subis plus le harcèlement des taxis en sortant des bus comme au Pérou, cela peut malgré tout se ressentir pour les excursions ou dans d’autres cas. Expérience récente en prenant un transport public où les locaux refusent de me donner le tarif pour que l’employé me propose un prix élevé. Heureusement, j’ai bluffé en disant que je savais que le prix n’était pas le bon. Après quelques minutes à m’ignorer (encore plus énervant) et à lui demander si le prix dépendait de la tête du client, il a fini par me faire payer le juste prix.
Concernant la langue, j’étais ravi de revenir dans un pays hispanique pour éprouver mon espagnol et découvrir les spécificités linguistiques des pays à venir. Le Mexique offre une pluralité de jargons impossibles à faire comprendre sans la pratique du terrain. On s’amuse souvent de ma façon de parler qui combine des expressions parfois péruviennes, souvent colombiennes. La langue française n’offre pas une telle variété entre les pays où elle est pratiquée. Pour donner un début d’idée de la difficulté de se comprendre parfois, on peut imaginer un londonien parler avec un texan.
La tentation au quotidien d’aller s’aventurer sur les “meilleures” choses à faire autour du lieu visité est forte. Difficile parfois d’y résister. La gestion du budget journalier et l’expérience aident. Je préfère souvent me faire mon propre avis sur la nécessité de faire une activité en optant pour celle qui va m’apporter quelque chose de nouveau ou qui sera plus authentique. Plus j’entends parler d’un lieu et plus l’envie d’y aller peut être amoindrie. Les activités les plus populaires sont souvent à des prix très éloignés de la réalité économique du pays.
Les français ne sont pas appréciés par certains car nous gardons la réputation de vouloir faire les choses par nous-mêmes, en autonomie. Si parfois cela peut avoir des conséquences dramatiques, cela se passe très bien la plupart du temps et fait économiser plus d’un denier.
Une des choses n’échappant pas à la règle des pays latins est le sexisme qui prend une forme plus flagrante encore qu’en France. De ce que j’ai pu observer, plus le lieu est isolé, plus l’éducation des hommes est orientée sur l’idée de subvenir aux besoins de la femme qui ne peut s’en sortir seule. Celle des femmes tourne autour de s’occuper du foyer, de la cuisine et des enfants. Cela conforte alors certains hommes à penser avoir le « droit » de prendre des décisions pour leurs compagnes et de les punir, parfois physiquement. Bien sûr, de leur côté, l’infidélité et le harcèlement de rue sont des choses normales et excusables.
Heureusement, un mouvement féministe tend à se développer et rentre en lutte avec cette culture pesante. La pression familiale et religieuse peuvent venir s’ajouter au tout et rendent l’émancipation des femmes et la prise de conscience des hommes difficiles. Si la gente masculine est libre de faire ce qu’elle veut, l’autre partie doit rendre des comptes à la famille, se justifier voire demander l’autorisation même une fois la trentaine attente pour ne serait-ce que sortir en soirée.
La rencontre des locaux me permet souvent d’en apprendre un peu plus sur ce sujet et la description précédente n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les cas de violences, de viols voire de meurtres sont malheureusement bien communs (qui ne mériterait pas sa tête mise à prix par un collègue de travail marié qui souhaite faire de toi son amante ?). J’ai d’autant plus d’admirations pour les femmes qui se battent au quotidien pour gagner leur indépendance et défier l’ordre établi. À vous mesdames, je tire mon chapeau bien bas.
Revenons au périple ! Le bilan pour ce premier pays d’Amérique Centrale arrive et je suis heureux d’avoir pu me plonger dans une culture si riche. La grandeur du territoire et le nombre d’étapes ne m’auront pas laisser l’occasion de vivre certaines activités (je pense bien sûr à un karaoké ou une soirée dansante) mais j’aurais tout de même eu mon lot de surprises dont certaines me poursuivent encore.
Ma curiosité est désormais dirigée vers les prochains pays, moins touristiques, où je compte réduire le nombre d’étapes pour passer davantage de temps et créer des liens plus forts avec les locaux.
Je conclus avec la traditionnelle liste de faits divers m’ayant marqué au Mexique :
- L’illégalité de couper des arbres dans certaines villes y compris ceux des espaces publics. Si cette règle part d’une bonne idée, surtout face à la chaleur des villes, sans être pensée jusqu’au bout, elle a pour conséquence de rendre impraticable la majorité des trottoirs de certaines villes.
- La surélévation des trottoirs est parfois surprenante mais prend tout son sens une fois que la saison des pluies commence. Le risque de glissement des pentes de sorties de garage et l’irrégularité des pavés rendent néanmoins plus désirable de marcher sur la route.
- Aller retirer de l’argent dans des banques est une chose mais il est assez surprenant de devoir se rendre dans les Galeries Lafayette locales pour trouver le DAB entre les jouets et les accessoires de cuisine.
- Dans la plupart des lieux publics, on trouve des robinets poussoirs les moins pratiques du monde. Il faut pousser l’appendice au bout du robinet pour que l’eau coule sur la main qui presse. Joli challenge que celui de remplir une gourde avec ce système.
- La poursuite du rêve américain divise les classes sociales et cause du tort à ce qui selon moi fait le charme de ce pays. Il pousse à renier également certaines traditions et origines et amène son lot de contradictions (il faut voir le traitement des personnes nées de parents mexicains sur le territoire américain qui en ayant alors une double origine se retrouvent rejeter par les deux partis).
- Les cartels sont bien présents. J’ai observé de nombreux panneaux de groupes de soutien proposant un accompagnement pour aider à sortir de ce « type » de vie (narcos anonymes). Le crime est si bien organisé que parfois ce sont les cartels qui mettent en place ces groupes (difficile d’avoir confiance et d’aller demander de l’aide dans ce cas…).
- Chose amusante propre au pays, celle de parler avec les mains : « oui » avec l’index qu’on tend puis replie, « merci » avec la main, présentée devant le visage et de dos, qu’on abaisse.
- La conduite sur la ligne de délimitation de la route pour créer une troisième voie imaginaire pour laisser doubler dans les deux sens. Cela peut donner son lot de sueurs quand deux véhicules face à face décident de s’engager. Encore plus dans les virages.
- La survie de certaines cultures malgré une influence de l’Église. Si les aztèques ont disparu, le peuple maya a lui survécu contrairement à sa civilisation. De nombreux dialectes sont encore parlés et les traditions ont évolué avec le temps notamment sous la christianisation des Amériques.
- La tranquillité et la discipline des mexicains furent une belle surprise. Habitué au bruit sous toutes ses formes, mes voyages dans les transports publics sont calmes. Les lieux où les voix se superposent d’habitude comme les marchés sont assez réservés. Étonnant !
- Les galettes de maïs ou de blé et les mille repas qui se basent dessus : tacos, gringas, quesadillas, enchiladas, gorditas, tortillas, burritos, fajitas, tostadas… Un nom différent à chaque fois pour une composition qui change d’un ingrédient parfois. Pas simple de s’y retrouver tant la diversité nominative est forte (à défaut de gustative).
- De mon expérience, l’amour pour le piment est jusqu’ici inégalé. Les sauces proposées vont généralement de piquantes à « comment se brûler au troisième degré de l’intérieur ».
- Des eaux aromatisées aux fruits sont proposées à la plupart des repas à l’extérieur (macération de morceaux d’ananas par exemple avec un rajout conséquent de sucre). C’est sûrement mieux que le Coca-Cola qui est consommé à outrance. La région du Chiapas détient d’ailleurs le record du monde de consommation avec 2,25 l/jour/personne contre une moyenne mondiale de 0,07 l/jour/personne soit l’équivalent de 50 cuillerées à café de sucre. Cela explique les 60 % d’obésité et un diabète aux conséquences mortelles.