Au détour d’un canal

Jours 360 à 365 – vendredi 15 à mercredi 20 septembre 2023 – El Valle de Antón, Panama – Panama

Ma musique “mémoire” du lieu, à travers cette chouette playlist, à écouter durant ta lecture si ça te tente !

À la sortie du bus de nuit, après un passage de frontière à l’aube à faire la queue plusieurs heures, les paupières sont lourdes quand je demande en début d’après-midi au chauffeur de me laisser au bord de cette route nationale qui traverse tout le Panama dans sa longueur. Pas de chance, je pensais prendre une petite route jusqu’à El Valle de Antón via un bus local qui n’en est pas vraiment une. Je finis par accéder à l’entrée du bon chemin en prenant à nouveau les transports publics.

Le scanner étant en panne, le contrôle se fait un peu à la tête du client.

J’attends jusqu’à la tombée de la nuit, espérant que le dernier bus ne soit pas trop rempli. Premier arrivé à l’arrêt, les autres personnes se ruent sur ce transport pas beaucoup plus grand qu’un minibus. Tâchant de ne pas être impoli, je finis tout de même en voyant le véhicule se remplir par m’imposer et demander à ce que l’assistant du chauffeur trouve un endroit pour mon sac. Bingo, il reste une place sur la roue de secours dans le coffre (et c’est là que je suis heureux d’avoir ma housse de protection).

L’axe principal traversant le pays d’ouest en est.

Avec une vingtaine de places assises, en comptant les enfants sur les genoux nous avoisinons la cinquantaine, tous agglutinés jusqu’à la porte latérale qui peine à s’ouvrir pour laisser sortir voire entrer de nouvelles personnes. Le plafond est bas et je suis alors recroquevillé sur le haut d’un siège. Je crois que cette heure de trajet dans les montagnes bat presque mon épopée pour me rendre chez Mauricio et Isabel en Colombie près de Tuluá

Même si je ne m’en rends pas compte dans l’obscurité, je m’apprête à dormir dans le large cratère d’un volcan. La ville s’étend sur une grande partie de sa superficie, entourée par des collines verdoyantes et des forêts nuageuses offrant un climat plus frais que les régions environnantes grâce à son altitude. Je te rassure, la chaleur est quand même bien là jour et nuit.

On devine les contours du cratère.

J’attaque à l’aube avec une randonnée qui tire son nom de la forme de la montagne, l’Indienne endormie (Indiana dormida) et tient ses origines d’une histoire amérindienne d’amour à la fin tragique. Suffoquant durant mon ascension enfermé dans la jungle luxuriante, la vue au sommet du cratère donne toute satisfaction. Accompagné sur le chemin du retour par le chant de toucans et de motmot toujours aussi difficiles à observer, je repasse à l’auberge emprunter un vieux vélo pour me rendre jusqu’au serpentario servant de refuges à de nombreux animaux depuis un peu plus d’une dizaine d’années, et en grande majorité des serpents.

Les employés offrent des visites guidées pour démystifier ces créatures nourrissant l’imaginaire. Si les explications sont parfois bancales et les conditions de vie des animaux sont contestables, je ressens tout de même le respect de l’animal et la volonté de transmettre des salariés et bénévoles.

Le plus redouté, le fer de lance, responsable de nombreuses morsures sur une vaste partie du territoire américain.

Une femme manipule devant moi un boa constrictor. Refusant de le porter pour une photo, je demande à passer du temps avec Lola âgée de 12 ans. Fasciné et effrayé face à l’antinomie de cet animal si beau, paisible et pourtant dangereux. Je finis par accepter la proposition de la caresser, ignorant quand l’opportunité se représentera. La crainte s’évapore dès le premier contact et je finis par la photographier sous quelques angles en mettant de côté mon appréhension.

Elle est plus jolie qu’en sac à main quand même…

Après avoir bravé la pluie sur mon destrier à deux roues en terminant ma visite de la ville, je visite le lendemain le musée Victoriano Lorenzo pour étoffer mes connaissances de la région et du pays. J’en profite pour me faire couper quelques cheveux dans une barbería où je fais la rencontre du moins appliqué des coiffeurs que j’ai eu l’occasion de côtoyer (il bat mon expérience au Nicaragua).

Après plusieurs demandes pour qu’il finisse bien son boulot, je terminerai quelques jours plus tard par me les refaire couper correctement (on parle d’un coup de tondeuse en suivant une ligne pourtant). Expérience vite oubliée, je prends le bus pour rejoindre ma dernière destination du voyage commencé il y a bientôt un an et demi.

Un seul axe routier principal est forcément synonyme d’embouteillages. Notre conducteur est inspiré et prend les routes terreuses latérales, pleines de nids de poule (ou plutôt d’autruches) et de boues (et oui, en pleine saison des pluies…). Il sait sûrement ce qu’il fait mais moi je l’ignore et je m’accroche un paquet de fois appréhendant la chute du véhicule sur le bas-côté.

Trop accroché au siège sur le trajet, je n’ai pas de photos de ce périple. Aussi, j’en profite pour partager cette publicité que je trouvais amusante.

J’arrive au terminal de la capitale et un groupe d’enseignants du lycée français m’accompagne depuis ma sortie du bus jusqu’au métro. Pratique quand on arrive dans une telle ville ! D’ailleurs, en arrivant dans le quartier où je loge, je ne me sens plus vraiment en Amérique latine. La communauté internationale rencontrée mais surtout les environs débordants de tours toutes plus hautes les unes que les autres donnent une dimension nouvelle aux paysages que j’ai pris l’habitude d’observer. La concentration urbaine des capitales s’observe depuis mes débuts en Colombie davantage sur l’horizon qu’en levant la tête, à l’exception peut-être de San Salvador.

Pour cette journée de découverte, je commence d’une façon peu originale en me rendant au canal de Panama. Et ce n’est personne d’autre que Morgan Freeman qui me raconte au détour d’un film de présentation l’histoire de cet édifice.

Reliant l’océan Atlantique à l’océan Pacifique, cette voie navigable artificielle n’a pas été simple à réaliser. Véritable défi technique, ce sont les français qui ont essuyé les plâtres dès 1881 sous la direction de Ferdinand de Lesseps. Ayant sous-estimés les difficultés techniques liées à la topographie du terrain et aux conditions climatiques tropicales, le chantier aura fait entre 22 000 et 26 000 victimes parmi les travailleurs français à cause de la malaria et la fièvre jaune. Résultat, le chantier est abandonné huit ans plus tard.

Pour donner une idée du chantier.

Les États-Unis se lancent alors dans ce défi à leur tour avec une approche technique plus adaptée et une meilleure compréhension des maladies tropicales. Le rapprochement est fait avec le principal vecteur de ces maladies, le moustique. Une campagne d’assainissement est lancée sur les eaux stagnantes (imagine dans une région tropicale…), des méthodes de contrôle sont développées dont l’utilisation d’insecticides, les travailleurs sont encouragés à se protéger avec des vêtements longs, es moustiquaires, etc.

Il ne faut pas oublier que le canal traverse une jungle dense.

En 10 ans de chantier, le nombre de victimes se réduit mais emporte tout de même presque 6 000 personnes dans la tombe. Pour donner un idée avec un simple pourcentage, on parle donc de 85 % de décès sur le chantier français contre 5-10 % sur le suivant.

Le fonctionnement du canal en bref.

Achevé en 1914, le canal a été un élément crucial pour le commerce maritime mondial raccourcissant les distances de navigation et facilitant le passage des navires entre deux océans. Contrôlé jusqu’en 1999 par les États-Unis, il offrait à la superpuissance plusieurs avantages économiques et stratégiques (facilitant le mouvement rapide des navires militaires). Le transfert de contrôle au Panama a été perçu comme un geste de bonne volonté de respecter la souveraineté de la nation hébergeant cette infrastructure.

Un chantier tout aussi titanesque à la collaboration internationale s’est achevé en 2016 avec la création d’une nouvelle voie de navigation ou un troisième jeu d’écluses plus exactement permettant le passage de navires plus grands. Certes, cela augmente la capacité du canal répondant à la demande croissante du commerce mondial mais la question de la viabilité à long terme du canal se pose désormais avec le changement climatique et les phénomènes météorologiques.

Un aperçu de la situation.

Le lac Gatun, alimentant une partie importante du canal, est affecté par des sécheresses. Des réservoirs existent afin de gérer les fluctuations du niveau d’eau et des mesures ont été prises pour tenir compte des défis posés par le changement climatique (améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’eau et des infrastructures liées au canal…). La viabilité à long terme du projet dépendra donc de la capacité continue à s’adapter aux conditions changeantes et à mettre en œuvre des mesures appropriées.

Il est temps d’aller arpenter les vieux quartiers de la ville. Je me rends au marché de poissons pour déjeuner avec Roel, rencontré au Guatemala, qui continue sa traversée de l’Amérique latine à vélo. Après un arrêt au « Café Coca Cola », un des plus anciens de la cité ayant conservé son atmosphère rétro, je termine mon tour des commerces en quête de mes derniers cadeaux souvenirs. Le soir, je rejoins Isabelle, Rémi et Nelson à quelques pas de mon auberge pour un verre en cette dernière soirée de voyage. La soirée passe vite et je ne pense pas vraiment à mon retour, heureux de faire jusqu’au dernier moment de nouvelles rencontres.

Sans d’appréhension particulière, me voilà en route en ce mardi 19 septembre 2023 en direction de l’aéroport. Un dernier trajet bien chargé avec 23 kg sur le dos après de délicieuses lasagnes à la plantain que je rêve déjà de cuisiner dans mon prochain chez-moi !

Une dernière aventure pour la route ? En arrivant, jamais bien familier avec le fonctionnement des aéroports, je demande où déposer mon bagage. On me renvoie vers le poste de contrôle où sans faire attention, je soumets mes sacs à un scanner. On me laisse alors passer et je me retrouve dans la salle d’attente avec notamment mes couteaux sur moi. Étonné, j’explique la situation et je demande à revenir en arrière pour y déposer mon sac comme initialement prévu. Et voilà qu’on me refuse le passage…

Ne souhaitant pas risquer une amende ou pire, je commence à m’agacer et après un petit échange corsé avec le personnel au poste de contrôle, je trouve le chef de la douane qui se montre compréhensif pour me faire sortir sans devoir faire la queue. En repassant la douane, elle se fait un malin plaisir alors à vérifier absolument toutes mes affaires. Amusé par la situation, le personnel fini par me laisser partir.

En rouge, les destinations atteintes, en jaune celles que j’avais repéré pour la remontée par l’est du continent.

Loin de l’état d’esprit et de l’océan émotionnel dans lequel je me trouvais à mon retour d’Ushuaia, je gagne l’avion apaisé et heureux. C’est donc le 20 septembre que je pose le pied sur le sol français une fois de plus, cette fois pour mettre un terme à 365 jours de voyage qu’il me faudra maintenant digérer.

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