Jours 206 à 211 – Mardi 15 à lundi 21 novembre 2022 – Valparaíso, Viña del mar, Laguna Verde, Santiago de Chile – Chili
Me voilà accueilli avec douceur par Andrès et Mané, l’oncle et la tante de mon ex-collègue de travail Paulina, vivant depuis peu sur la banlieue de Valparaíso. En arrivant chez eux, je prends un grand plaisir à découvrir une maison écologique en fin de construction. Réalisée en bois et équipée de panneaux solaires thermiques et photovoltaïques, un poêle à bois permet d’apporter la chaleur nécessaire pour les jours les plus froids de l’année. Située sur un pan de colline, au cœur d’une forêt de pins (oh douce odeur de sève, que tu m’avais manqué depuis sept mois), la terrasse offre une vue sur la baie de Laguna Verde et l’océan. Sûrement la maison visitée la plus proche de celle de mes songes, plus qu’à la déplacer au milieu des montagnes enneigées et ce sera parfait !
Je passerai plusieurs moments très agréables avec eux que ce soit dans leur doux foyer comme en ville. Me sentant comme en famille lors des repas accompagné de bouteilles de vin que nous partageons (oh doux nectar, enfin buvable, que tu m’avais manqué également), j’apprends à connaître le pays et son histoire avec eux. Nos discussions sont ponctuées de visites que ce soit du port, des rues pentues de Valparaíso ou du palais Baburizza.
Sur place, je rencontre aussi la maman et le frère de Nicolas, le mari d’une de mes meilleures amies et aussi une personne pour qui j’ai beaucoup d’affection. Après le partage d’un déjeuner copieux et la visite d’une ville voisine, Viña del mar, je suis accompagné sur une séance de shopping pour acquérir une tente de qualité capable de résister à la neige, au vent et à la pluie de la Patagonie que je vais gagner les prochains jours. Malheur à moi, tous les centres commerciaux ont des salles de jeux d’arcade et sont équipés de Guitar Hero. Arrêt obligé… C’est grave, docteur ?
Lors d’un walking tour où je retrouve Charlotte et Anthony, un couple de voyageurs français rencontré aux Galápagos, j’apprends donc que là où l’Argentine a semble-t-il préféré l’extermination de ses peuples indigènes, le Chili a préféré les ignorer et après une période de pacification lors de l’Indépendance, offrir leurs terres à des familles et entreprises de monoculture étrangères, notamment allemandes.
Le principal peuple dont j’entendrai parler et qui représente 9% de la population chilienne est le peuple Mapuche. Ce sont d’ailleurs les seuls à avoir repoussé à la fois les Incas et les Espagnols. Si autrefois ils volaient les chevaux, décapitaient les Espagnols et pendaient leurs corps, la paix n’a toujours pas été établie avec eux aujourd’hui. La « chasse à l’indigène » était encouragée par les anglais qui demandaient au début du XXe siècle de rapporter des preuves de chaque nouvelle victime avec une oreille. Se rendant compte que beaucoup de natifs se baladaient alors avec une ou sans, ils ont durci les demandes en requérant pour preuve un bras, une jambe ou un sein, avant de payer la récompense.
Dans l’actualité rapportée par les médias, on entend aujourd’hui parler d’attaques commises sur des engins de construction ou des routes, souvent attribuée à ce peuple même si il semble suspecté que certaines pourraient être réalisées par d’autres pour les décrédibiliser.
Valparaíso fut le premier port du Chili par sa proximité avec Santiago même s’il est aujourd’hui en bas du podium en terme d’importance. En effet, son développement fut tardif bien que conséquent jusqu’à l’ouverture du canal de Panama en 1906, n’obligeant plus à faire étape par ici.
L’identité visuelle de la ville est forte, justifiant son classement au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les maisons sont en effet faites d’adobe mais recouverte de tôle pour éviter d’abîmer le matériau sensible à la pluie. La tradition fait que chaque maison se revêt d’une couleur assez forte. La zone étant vallonnée, cela permet d’apprécier tout le panel de couleurs qu’offre la ville en plus de ses graffitis assez uniques. À la manière de Medellín en Colombie, l’art de rue est de plus en plus populaire. Trouvant racine sous l’initiative d’une campagne de propagande politique dans les années 60, il s’est fortement développé depuis les années 90. Les thèmes évoqués et critiqués sont très souvent sociaux et politiques.
Il est appréciable de voir les sujets de l’écologie et du féminisme évoqués avec tant de ferveur ici (abordés de manière bien plus isolée dans les précédents pays traversés). Aujourd’hui, il semble une prise de conscience face aux conséquences économiques et environnementales des activités que sont la monoculture et l’exploitation des mines dont les profits se faufilent à l’international. La question de la ressource en eau est nationalement de plus en plus alarmante et nous ne sommes qu’aux prémices du changement climatique qui nous attend.
Les chiliens et chiliennes que j’ai pu rencontré au cours du voyage ont assez souvent un avis très fort et prononcé sur la gestion du pays et sur son histoire politique récente. La dictature de Pinochet n’est pas si lointaine et son héritage encore trop présent pour beaucoup. J’en apprendrai beaucoup lors de ma visite du Musée de la Mémoire à Santiago.
Sous fond de guerre froide, le président élu démocratiquement Salvador Allende fut destitué de son pouvoir par plusieurs militaires dont le général Augusto Pinochet après un coup d’État en septembre 1973, soutenu par les États-Unis n’appréciant guère l’idéal communiste du pays et ses relations renforcées avec l’URSS et Cuba.
S’ensuivent 17 ans de tyrannie avec la torture et l’emprisonnement de tout éventuel opposant au régime : politicien, artiste, militant, professeur… Dans un contexte de dictatures latino-américaines, l’opération Condor est menée conjointement pour éliminer sur le continent un grand nombre de penseurs et de militants potentiellement dangereux pour le pouvoir en place.
De ce que j’ai pu entendre et comprendre, le gouvernement de Pinochet a préparé une Constitution à son avantage qui pourrait permettre sa prolongation au pouvoir. Bien que les partis de gauche soient interdits, l’opposition se réorganise dans les années 80 avec notamment de nombreuses grèves et de manifestations sévèrement réprimées. Le rôle des groupes organisés par les femmes sera également très important et à l’origine d’une société plus égalitaire entre les sexes que j’ai pu apercevoir.
En 1988, un référendum est organisé pour la prolongation au pouvoir de Pinochet. Malgré des tentatives de fausser le résultat voire la volonté de l’ignorer, le « non » l’emporte à 56%. Le dictateur prévoit de proclamer l’État d’urgence mais chose qu’il n’avait pas prévu : l’armée l’en empêchera. Il quittera donc le pouvoir mais non pas sans garantie de pouvoir se la couler douce sur le reste de ses jours.
Au total, on compte plus de 3 000 morts et disparus, pas loin de 40 000 victimes de torture sans compter les milliers de familles exilées. Le modèle économique du pays a fortement été influencé par le modèle états-uniens avec sous la dictature une privatisation de quasiment tout : mines, routes, gestion forestière…
L’inflation que connaît le pays aujourd’hui m’empêche de comprendre comment les locaux survivent avec un SMIC à 400€ et un coût de la vie similaire à la France. Des mouvements sociaux fortement réprimés ont eu lieu avant que le COVID n’enferme tout le monde chez soi. L’arrivée d’un nouveau gouvernement et la promesse d’une nouvelle Constitution a apaisé les mœurs. Pourtant, la proposition a été refusée par le peuple lors d’un référendum. Si elle semblait utopiste, ce qui n’est pas pour me déplaire car l’utopie permet de garder un objectif en vue, il paraît que son interprétation a peser dans la décision (désinformation, bonjour). J’ignore donc le futur réservé à la gestion du pays mais je ne doute pas de réentendre parler d’un État social comme lors des mouvements précédents le COVID.
Mon passage à Santiago sera l’occasion de passer du temps seul, à m’équiper en matériel de camping, à errer dans ses quartiers en faisant halte au hasard des musées rencontrés. Je rencontrerai également l’un des meilleurs amis de Nicolas, Carlos alias « El Chino », et sa compagne Carli. Ils m’hébergeront pour une nuit et je repartirai frustré de ne pas pouvoir m’attarder davantage en leur compagnie. Nos échanges et la partie de PS4 avec Carli me valant de sa part un surnom peu enviable dans notre jeu de coopération me laisseront un grand sourire.
Je suis ravi de ce genre de rencontres où j’apprends à découvrir les racines lointaines de mon entourage. J’ai eu d’ailleurs le même sentiment en rencontrant la culture et la famille de Maria, ma belle-sœur, à Bogotá. Je ne vois pas aujourd’hui comment comprendre autrement son dépaysement et les choses qui peuvent lui manquer. Tout cela fait partie d’elle et m’offre un nouveau regard sur son identité.
Le coût de la vie locale m’ayant forcé à revoir mes plans, il est temps de reprendre un bus, pour changer, et de me rendre à l’est, en Argentine. Première étape de ce pays qui me rend somme-toute curieux : Mendoza, capitale du vin !
Merci pour le partage JB ! Je t’appelle bientôt 😉 Francis
Hola JB, gracias por compartir tus notas.
Solo una corrección, en la foto de la Moneda, asediada por los militares, se dice que está en Valparaíso. Cuando en verdad está en Santiago.