Glaciers mourants et randos toniques

Jours 148 à 153 – Lundi 19 à samedi 24 septembre 2022 – Huaraz – Pérou

Une fois encore, j’arrive à l’aube en bus après un rêve de zombie assez violent suite au visionnage de « 28 jours plus tard » (pourtant pas bien prenant). La tête encore ailleurs et le palpitant emballé, je m’en vais à mon logement pour terminer ma nuit. En une semaine, j’ai enchaîné mes premières destinations péruviennes sans repos avec 4 bus de nuit et une angine. Une journée de repos s’impose et tant mieux car je suis à 3 100 mètres d’altitude et je dois donc m’acclimater tranquillement.

Ma musique “mémoire” du lieu, à écouter durant la lecture si ça te dit !
La ville s’est fortement développée durant les dernières années perdant son âme de petit village de charme au passage.

Durant ce long séjour à Huaraz, ville perchée au milieu des Andes et entourée de 200 km de Cordillère blanche et Cordillère noire, je recroiserai à nouveau mes compagnons de voyage Romane et Thibault mais aussi Alexandre qui reviendra d’un trek en autonomie de 8 jours réalisé en 6. Il s’agit de Huayhuash considéré comme l’un des plus beaux du monde mais coupé du monde et éprouvant. Je ferai quelques belles rencontres également dont Camille et Benjamin, un autre couple de backpackers aussi sympathique que de bons conseils. Cependant, je passerai la majorité de cette étape seul à récupérer et réfléchir.

Benjamin et Camille, à suivre sur Instagram @du.sable.dans.les.baskets

Trois jours durant, j’enchaînerai avec Camille et Benjamin des randonnées incontournables de la région. La première marche jusqu’au lac Churup me casse les jambes avec ses escaliers et le manque d’oxygène. La sieste aux abords de sa lagune avec la vue sur son glacier sera réparatrice et les passages à escalader la roche en suivant une ligne de vie piquée dans la roche m’amuseront.

Le tour jusqu’au glacier Pastoruri me prendra toute la journée mais en vaudra la peine. Pour y accéder, nous prenons la route du changement climatique. Les plaines que nous traversons semblent marécageuses et rappellent les páramos. Il y a encore 35 ans, tout le monde venait ici pour skier mais aujourd’hui tout a disparu et il ne reste que quelques vaillants glaciers voués à disparaître dans moins de 10 ans.

La majorité des plantes est une graminée (calamagrostis) neutralisant l’acidité des terres, nettoyant ainsi les sols et les eaux. Dans quelques années, cela permettra l’apparition d’arbres et l’exploitation agricole. Sous le règne inca, cette plante était utilisée pour tresser et réaliser des ponts en paille.  

calamagrostis

Ancien fond marin, la région est très sableuse et le sol dégage une couleur noire par sa richesse en carbone (elle-même due à la décomposition d’animaux et plantes, on voit d’ailleurs le logo de « Jurassic Park » partout ce qui ne cesse d’alerte mes sens). Zone volcanique, on peut voir par endroit l’eau remonter et libérer du gaz en ramenant également à la surface de nombreux minéraux, offrant au paysage un riche panel de couleurs.

Une des sources gazeuses, je te laisse goûter, je te filme pour expliquer à l’assurance.

Une autre plante se dresse ponctuellement par dizaines sur les vallonnements de ce parc national. Ce ne sont pas des frailejones contrairement à ce que je pensais après en avoir observé sur les précédents pays visités mais une plante de la famille de l’ananas pouvant atteindre 15 m. La puya raimondii vit 40 à 100 ans et donne une seule fleur dans sa vie. Ses feuilles sont en bas et présentent un crochet à son extrémité auparavant utilisé pour la pêche.    

Les demi sphères ont 20 ans, les sphères la trentaine.
Ceux-là touchent leur alloc’ retraite (trop faible à leur goût).

Au pied du glacier en malheureux état mais impressionnant par ses nuances de bleu et de blanc, je me permets une méditation interrompue par les péruviens venant prendre une photo et sans gêne me demandant de me pousser. Un cordon autour du site empêche de s’approcher afin de protéger ce qu’il reste de cette merveille mourante. Cela n’empêche pas les locaux de le passer et de s’en approcher pour faire mille photos Instagram. Certains vont même jusqu’à faire un prélèvement pour ramener un souvenir qui aura fondu dans quelques minutes.

Impossible cette fois de se contenir et nous voici à leur hurler de revenir. Les guides présents sur place se mettent alors à dire quelque chose. Les locaux se précipitent pour finir leurs photos au lieu d’écouter les injonctions. Mon agacement et mon incompréhension de voir des personnes venir profiter d’un lieu aussi grandiose, après une explication sur sa future disparition, pour accélérer sa disparition ne me rassure pas sur le  futur de la race humaine et sur notre capacité décroissante de réflexion. Je blâme également les guides car le parc est protégé et l’entrée payante pour notamment le préserver et l’entretenir. Au Pérou, les guides sont formés pour être guides officiels. La visite du site est leur gagne-pain et pourtant ils laissent faire ou disputent mollement les touristes. L’un était même agacé de voir des étrangers dire quelque chose avant. Dommage pour lui.

La dernière randonnée est sûrement l’un des plus beaux paysages que j’ai eu l’occasion d’apprécier durant ce voyage. Dans la vallée que nous traversons s’entremêlent des moments de magie : la superposition de montagnes sur nos flancs, l’apparition furtive de glaciers massifs, des falaises raides de plusieurs centaines de mètres nous surplombant… Sans mentionner les lacs, d’un bleu irréel. Et dire que la randonnée n’a pas encore commencé.

Le glacier Huascarán
Laguna Chinan Cocha

Afin de m’évaluer face à ma capacité à endurer le trek de Huayhuash, je mesure ma vitesse face à celle d’Alexandre, impressionnant malgré sa consommation de cigarettes. Je réalise l’ascension en 1h36 (soit 4 minutes de moins que lui) quand elle est annoncée sur 3h. Dans les premiers sur place, je profite du calme de la Laguna 69 alimentée par une cascade en partie dissimulée par le glacier au-dessus de ma tête. Les sommets enneigés à proximité sont tout aussi majestueux et rendent le tableau émouvant. Le chemin au retour change de décor constamment et je réalise que je n’ai même pas vu la vache et le mouton morts sur le sentier. C’est tout de même préférable de prendre son temps !

En ville, je prends le temps d’écrire et de passer quelques appels pour lutter contre le manque de ma famille et de mes amis. Il est temps de goûter le cochon d’inde, plat national ! Pourtant voir la bestiole présentée entièrement traversée par un pic en bois et rôti n’ouvre pas trop l’appétit. Je me rends au restaurant Crêperie Patrick tenu par un français pour en déguster une cuisse et m’assurer de la qualité du met. La peau est difficile à mâcher, les os sont nombreux et le goût oscille entre le poulet et le canard. Ma curiosité est satisfaite à défaut de mon palais dira-t-on.

En espagnol, on dit “cuy” pour cochon d’Inde, qui se prononce “couille”. Charmant, n’est-il pas ?
La patte est d’un coup plus appétissante, non ?

Demain, dimanche 25 septembre, avant de me décider à me lancer à mon tour sur le trek de Huayhuash sur 8 jours en autonomie, je souhaite tester mon matériel et les conditions qu’offre la montagne. Je me prépare à une randonnée sur deux jours avec une nuit en montagne, sans savoir que ce sera l’expérience la plus éprouvante de mon voyage.

Je termine sur ce choix marketing rendant toute expansion vers un pays francophone difficile.

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