Jours 63 à 68 – 26 juin au 01 juillet – Colombie – San Agustín
Faute de pouvoir me rapprocher de la destination que j’avais en tête par souci de route coupée, je quitte la chaleur du désert de Tatacoa pour me rendre dans la ville de San Agustín réputée pour ses sites archéologiques. A nouveau perché dans les hauteurs de la Cordillère centrale au sud du pays, je suis à quelques kilomètres de la source du fleuve Magdalena qui traverse tout le pays du sud au nord.
A peine arrivé sur ce village montagnard aux rues pentues et entouré de cascades que je me dirige vers une adresse qu’on ne trouve désormais que par recommandation, l’auberge refusant de fonctionner avec des sites comme Booking qui prennent une commission sur les voyageurs comme sur les hôtes. Grâce aux conseils d’Amandine et Kévin, deux amis chers ayant voyagé pendant 2 ans autour du monde, j’arrive donc dans la maison familiale de Celina et Jaime, la Posada Campesina.
Prévoyant de rester seulement trois nuits, j’en resterai finalement le double après m’être un peu écouté sur mon besoin de repos et d’intimité. Quel plaisir simple mais délicieux d’avoir quatre murs à soi avec sa propre salle de bain. Je décide de fêter ça en m’offrant ma première pizza du voyage dans un restaurant italien de qualité à proximité de l’auberge ! Deux mois en itinérance sans, c’est pas mal quand même ?
Lundi 27 juin, ce n’est pas encore le repos imaginé puisque j’ai de nombreuses opportunités qui s’offrent à moi et je veux en profiter par optimisation d’agenda (certaines activités sont fermées certains jours, un guide part avec un groupe un autre jour, etc.). Aussi, me voilà à marcher un moment pour me rendre au parc archéologique. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, il renferme la plus grande nécropole au monde en termes de surface avec ses quelques 35 km. Sa civilisation est inconnue et n’a pas de nom. A défaut d’écrits ou d’ossements, ce sont de nombreuses sculptures monumentales à formes humaines et animales (et quelques poteries) qui nous informent de ses croyances et son quotidien.
-4000 à -1000 : période archaïque ou précéramique :
Peu de choses sont connus sur les personnes ayant vécu dans cette région durant cette période. Quelques foyers et outils en pierre ont été attribués à des petits groupes de nomades chasseurs-cueilleurs.
-1000 à 0 : période de formation :
Le début d’habitations permanentes sous forme de petite communautés sur des lieux fertiles et se prêtant à l’agriculture. Cette période se prêtait au développement culturel.
1 à 900 : période régionale classique :
Développement des monuments funéraires avec des villages à proximité gérés par des groupes politiques et de hauts responsables intercommunautaires dont les tombes étaient impressionnantes. La mort était un passage vers autre chose et les gardiens des sépultures exerçaient une protection sur le mort comme le monde des vivants.
900 à 1530 : période récente pré-colonisation :
Plus de statue. La raison pourrait être l’évolution culturelle sur la façon d’honorer la mort. Une autre théorie est celle de la migration dispersée de ce peuple face à l’arrivée de groupes de guerriers Yalcones.
Je visite donc le premier des trois sites regroupant un nombre de statues conséquents. Après avoir visité le musée contant l’histoire de la région, je déambule dans le parc et je m’arrête pour écouter Colombia, une guide expliquant à la famille de Maria Helena en vacances dans la région. Après accord de la famille, je rejoins donc la petite troupe pour comprendre ce que je vois. Les figures de pierre sont bluffantes de par leur expression et leur activité. Certaines sont de forme hybride avec entre les canines un nombre de dents qui permet d’identifier l’animal auquel la figure humaine est rattachée : quatre dents pour le singe, six pour le jaguar et sept pour le crocodile par exemple.
J’apprends donc à lire ces statues à mon tour : parfois avec une gourde en bouche pour vomir suite à la prise d’ayahuasca pour se purifier, un masque tenu en main pour les rituels et les cérémonies, un pénis en érection pour symboliser le pouvoir et la fertilité (tout comme le sont le singe, le serpent et la grenouille), un ruban autour de la tête pour identifier les chamans… Les communautés indigènes échangeaient entre elles et envoyaient des émissaires pour commercer. La preuve en est la présence du crocodile sur les statues, reptile inconnu dans cette partie du pays.
Les statues sont orientées en direction du soleil et sont souvent les gardiennes de tombes qu’on retrouve quelques pas derrière elle. Si une rainure se trouve à l’extrémité du sarcophage, il s’agit de la sépulture d’une femme. Toutes sont impressionnantes et datées entre l’an 1 et 900 après J.C. Malgré les pillages qui ont eu lieux, une partie a pu être récupérée depuis certaines collections privées ou avec l’aide des locaux ayant des statues sur leur propriété (parfois faisant partie d’un mur de leur maison, tradition gardée d’utiliser ces sculptures pour se protéger).
Deux profils incontournables reviennent souvent dans les peuples indigènes. Le chaman était souvent associé à la médecine et à la spiritualité où tout fonctionne sous forme de dualité (ciel/terre, jour/nuit…). Il était une personne respectée et à travers les rêves et la prise d’ayahuasca, il guidait en interprétant les symboles qu’il voyait et tout ce à quoi ils renvoyaient (un aigle était associé au jour et au divin, le serpent à la terre…). Le cacique est l’autre figure importante qui assumait la responsabilité de la communauté. Il pouvait aussi prendre les décisions difficiles comme par exemple pour le peuple inconnu de San Agustín, les jumeaux étaient une aberration et l’un devait mourir, deux personnes identiques ne pouvant exister. La décision revenait au cacique. Ci-dessous une petite sélection de dessins pour illustrer la vie indigène et les croyances.
Les pierres recouvrant les tombes ou servant d’entrée ainsi que les statues font facilement plusieurs centaines de kilos chacune. Préférées lisses, elles étaient récupérées dans le lit de la rivière et transportées à mains nues jusqu’aux plateaux en hauteur où se trouvaient les cimetières. Une ancienne route de pierre est d’ailleurs encore visible aujourd’hui. Une fois taillées, les statues étaient recouvertes de peintures dont on devine encore l’existence sur certaines. Les pigmentations étaient réalisées avec des matières naturelles comme des plantes dans des trous de roches au bord des cours d’eau.
Le lendemain ? Je pars avec un autre guide, Annibal, et une autre famille colombienne visiter en 4×4 les autres sites de la région répartis sur le territoire dont quelques cascades, cours d’eau et sites archéologiques.
Mercredi 26 juin, je suis invité par Celina à aller marcher de bon matin avec sa sœur Gladys et sa nièce jusqu’à d’autres sites archéologiques à proximité. Je visite au passage un petit musée (impossible à trouver par son emplacement et son absence d’indications) à l’intérieur même d’une finca qui raconte la vie locale au XXe siècle.
Après avoir profité de nouveaux paysages, je me rends en ville pour apprécier les célébrations de la San Pedro. Tout un quartier est consacré au défilé de cavaliers et cavalières dans des tenues souvent traditionnelles. M’attendant à un défilé commençant à une heure précise, je réalise que cela fait bientôt 1h30 que j’apprécie le spectacle de voir passer des chevaux (et même un taureau) au rythme de la musique. Les locaux arrivent et repartent mais sans jamais « démarrer » le défilé. La peine de voir les pauvres bêtes épuisées et assoiffées (on leur donne en règle général le matin et le soir), je préfère m’éloigner de ce spectacle.
La nuit tombante, je retrouve Milena de Meudon, rencontrée dans la Sierra Nevada de Santa Marta, accompagnée de son amie Valentina ainsi que Thibaut et Romane, couple lyonnais croisé à Salento. Je partagerai de nombreux moments avec eux au cours des trois prochains jours (dont une très belle soirée crêpes) tout en en profitant pour me reposer dans le petit paradis qui sert de maison à Celina et Jaime. J’ai la chance d’être chouchouté par mon couple d’hôtes. J’ai même le droit à des petits-déjeuners alors que l’auberge n’en fait plus « normalement » ! Quel sentiment agréable d’être considéré comme un invité et non un touriste. Ma rencontre avec mes hôtes m’aura apporté beaucoup de douceur et c’est le cœur lourd mais l’esprit paisible que je repars m’aventurer sur les routes colombiennes.