Jour 16 – Colombie – Mongui
Départ pour Mongui
Réveil matin, 5h, j’me réveille comme une fleur. Presque. La tête dans le brouillard, je me prépare doucement et l’heure tournant, je commence à me dire que j’aurais dû préparer mon sac la veille au soir mais j’étais trop amusé à lire World War Z dans une ambiance inquiétante, seule dans l’auberge de jeunesse.
Je dois prendre un bus à 7h en direction du petit village de Mongui. Impossible de retirer du cash et je me rends compte que j’ai oublié mon portefeuille. Heureusement j’ai toujours sur moi quelques espèces et l’une de mes CB. Miguel, mon hôte, m’a indiqué la veille sur une carte où je dois me rendre. J’ai confiance et je fais bien. Alors que rien n’indique la présence d’un arrêt de bus, voilà mon transport qui approche. Je passe l’heure à gérer ce souci bancaire en ligne dans les virages montagneux.
Nerveux, un peu nauséeux, je rencontre ma guide, Maria, en pleine forme qui ne s’inquiète pas de trouver une solution plus tard. Je respire un coup. Clairement, il y a peu de chance pour que cela se passe en Europe et je prends de la distance avec l’organisation que j’ai l’habitude de mettre en place.
Six petits pains, trois bananes, deux barres de céréales, deux litres d’eau et une clémentine : je suis paré pour les 8h de marche qu’elle m’annonce. Perchés à 2900 mètres d’altitude, nous allons progresser jusqu’à 3800 mètres. Ma guide parle espagnol mais connait quelques mots de vocabulaire en français qui m’aideront au long de la journée. Au cours de la randonnée, elle me parlera de plusieurs choses : les páramos et leur biodiversité, la culture Muiscas et sa vie au quotidien. J’ai envie de faire un article un peu plus long aujourd’hui pour vous restituer une partie de ce que j’ai appris et pu comprendre avec mon espagnol approximatif.
Pára quoi ?
Pour faire simple, le páramo est un écosystème montagneux intertropical qui peut être trouvé à partir d’environ 3000 mètres d’altitude près de la ligne équatoriale. On en trouve en Amérique du Sud et quelques-uns en Afrique. Avec une grande quantité de faune et de flore, c’est un environnement essentiel à la production de l’eau douce en Colombie (rétention, équilibre, formation des rivières…) et malheureusement sensible au réchauffement climatique qui s’amorce.
Avec des plages de température assez variables, le climat change régulièrement dans la même journée avec du soleil qui tape fort, des averses régulières laissant parfois place à des orages et du vent. C’est l’Irlande quoi mais en hauteur.
A Bogotá, le taux d’oxygène était d’environ 70% mais proche des 4000 mètres, il passe à 60%. En une journée, pas de risque avec le Mal Aigu des Montagnes auquel je suis potentiellement sujet. Je prendrai le temps de parler de cela plus tard.
La végétation est divisée en trois catégories, dépendant de la latitude : bas páramo, páramo moyen et super páramo. Le Páramo de Oceta a la plus grande variété au monde (7) d’une espèce iconique de cet écosystème : le frailejon. Et comme je te parle du deuxième pays au monde avec la plus large biodiversité, je te fais le cadeau de te dévoiler quelques créations de Mère Nature.
Maria et son engagement quotidien
Ma guide exerce sa passion depuis une vingtaine d’années. En partie d’origine muisca, elle connaît le territoire et sa biodiversité comme peu de personnes. Il y a une quinzaine d’années, elle a lancé une campagne de sensibilisation pour la préservation et la protection du páramo et son importance pour le pays et la planète. Cela à travers l’accompagnement des marcheurs mais aussi dans les universités, sur les radios, dans les journaux… Elle a trouvé que la poésie était un excellent médium pour y arriver.
EL PÁRAMO
Es un lugar único en el mundo,
Con paisaje singular
Agua cómo un cristal
Y tranquilidad inusual,
Plantas de mil colores
Con textura y con olores
Que en ningún otro planeta ud pudiera encontrar.
Parece un lugar ficticio
Con singular apariencia,
Un lugar que hasta la ciencia
Jamás pudiera explicar…
Páramo es lugar divino
Que por cosas del destino
En poco puede acabar,
Son los pulmones del mundo
Y con tanto amor profundo
Ahí está para ayudar
A que la gente respire
Y tenga suficiente agua,
Pero el ser humano
“Paga tan mal al que bien
Le sirve”
Maria E. Soto
En 2019, elle démarre un projet d’éco-lodge avec le même objectif et recherche des financements gouvernementaux. En prônant l’exemplarité et avec une maison autosuffisante (panneaux solaires thermique et photovoltaïque pour se chauffer et s’éclairer), elle sensibilise activement les habitants du village.
Actuellement, elle mûrit la réalisation d’un jardin botanique à 3800 mètres d’altitude et accepte tout type d’aide (travail bénévole, connaissances scientifiques, ONG, etc.). Afin de préserver le páramo davantage, elle demande à chaque visiteur de solliciter l’UNESCO par mail pour classer le Parc Naturel Régional Siscuni Ocetá Unité Biogéographique comme site patrimoine mondial.
Les Muiscas, peuple précoce
On peut lire de nombreuses choses sur ce peuple et l’Histoire apporte un point de vue qui semble pencher en la faveur de la colonisation. Maria m’a donc proposé une vision plus proche de sa culture et de la culture de ses ancêtres. Société matriarcale, les muiscas ne connaissaient pas de soucis de classes sociales puisqu’il n’y en avait pas.
Avec une agriculture avancée (pommes de terre, quinoa, maïs, racines comestibles, coton…), une expertise à manier l’or (qui n’avait aucune valeur économique) et les textiles, de grandes connaissances médicales qui persistent encore aujourd’hui, ce peuple était aussi fortement imprégné par l’astronomie dont plusieurs observatoires existent encore, notamment à Villa de Leyva où je me suis rendu quelques jours plus tôt.
Lors de la randonnée, je passe devant une montagne importante pour la culture muisca puisqu’elle abrite à son sommet un autre observatoire astronomique où les femmes se rendaient, après un rituel consistant à se rapprocher du serpent à l’aide d’une plante, de terre et d’or, pour prier et observer les cieux.
Cette montagne, Peña de Otí, voit sur son flanc deux serpents se dessiner et la légende raconte qu’une porte secrète s’ouvre la nuit de pleine Lune pour accéder à une cité souterraine. Ce serait l’une des sources du mythe de l’El Dorado. Ni une ni deux, les espagnols ont creusé la montagne « dans le doute » et les pierres ont servi à construire une basilique, un pont et d’autres constructions.
Quant aux femmes qui se rendaient sur la montagne, elles y ont été amenées et brûlées vives devant témoins. Cet acte est à l’image de la barbarie de cette époque de colonisation : effacer les traces du passé pour imposer de nouvelles culture et religion.
Lors de l’ascension, nous passons devant une pierre imposante avec des lignes la creusant. Cette pierre est pour les muiscas l’origine du monde d’où sont sortis les Hommes, les animaux et les plantes. Dans leur culture, il existe plusieurs plans dont celui sous terre et celui du ciel. Bien sûr la Lune, le Soleil et la Terre jouent un rôle essentiel au milieu de tout cela. Ce peuple pacifiste ne pratiquait donc pas de sacrifice humain, ne faisait pas la guerre et ne mangeait pas de viande. Sacrés avant-gardistes !
Une fois le sommet atteint, j’ai l’impression d’être observé de toutes parts avec cette forêt de frailejons. Je m’amuse à me perdre un peu dans cette espace unique. Entouré de montagnes, sans repère, à voir les cieux changer de forme et de couleur constamment, le moment est précieux. En entamant la descente, nous passons devant des morceaux de montagne qui semblent s’être sectionnés et avoir glissés. En faisant cela, ces tonnes de roches ont créé de nombreuses cavités que les muiscas ont pu utiliser pour en faire un cimetière en utiliser les trous naturels. Une pierre à momification est d’ailleurs toujours visible. Même régime pour tout le monde : adieu les organes, position fœtus et hop, emballé c’est pesé. Plus qu’à glisser le mort dans un trou et revenir dans deux ans pour la seconde phase du processus. En attendant, le défunt est là pour veiller sur la famille. Pas besoin de chercher, toutes les momies ont été dépouillées par les espagnols…
Retour
Au final, après ces huit heures de marche, j’ai eu la chance de découvrir de nombreuses plantes, le fonctionnement des paramos, la culture muisca et bien d’autres choses grâce aux bons soins de ma guide. A force de voir les pluies et les orages nous contourner, on a fini par y passer mais même si j’ai mis trois jours à sécher mes chaussures, quel plaisir !
De retour au village, je partage un café avec Maria et je me régale de lasagnes et je peux vous dire que niveau satisfaction, on était vraiment pas mal.
Merci pour ce partage
Merci Yves d’avoir pris le temps de lire 😉
Excellent 🙂 J’ai pris bcp de plaisir à découvrir tout ça !
Ça fait plaisir car cet article m’aura pris le double du temps habituel !