Jours 228 à 231 – Jeudi 8 à dimanche 11 décembre 2022 – El Chaltén, El Calafate – Argentine
El Chaltén
Une route s’étant effondrée à la suite d’une inondation, il nous faut faire un détour de plusieurs centaines de kilomètres. J’arrive donc dans le village argentin le plus réputé chez les trekkeurs après presque 24 heures de transport et 3 bus. Le dos en compote, je toque aux portes de nombreuses auberges qui en plus d’être totalement hors budget sont complètes.
C’est en arrivant au pied des sentiers sur l’un des derniers bâtiments de la ville, à l’allure discrète, que je trouve un toit pour les deux prochaines nuits. Trois jours posé dans un seul endroit : un luxe après ces cinq jours à braver les terres patagoniennes.
Le besoin de me ressourcer en pleine nature sans anticiper la suite un instant me fera le plus grand bien. Comptant sur l’absence de rencontres pour savourer ma solitude plutôt que la subir, je me balade dans les larges rues d’El Chaltén. Le soir posé dans une brasserie au comptoir à siroter une bière locale en continuant à parcourir la Terre du Milieu sur ma liseuse, je reconnais un accent bien franchouillard s’adressant en espagnol à la serveuse.
Je reconnais la silhouette d’Anthony rencontré aux îles Galápagos et recroisé plus tôt à Valparaíso au Chili. En compagnie de sa petite amie Charlotte et de Marion, une compagne de voyage, je partage très vite un verre puis un repas et bientôt deux jours de randonnées. La solitude se savourera plus tard !
Cerro Torre
Finalement très heureux de ce joyeux hasard, leur connaissance de la ville et de ses richesses voisines me permet d’organiser mon temps sur la ville. Vendredi 9 décembre, nous voici en route pour atteindre le lac Torre situé sous la surveillance de deux glaciers ; eux-mêmes sous la supervision d’un sommet à l’allure de tour qui dans mon imaginaire fait penser à l’Œil de Sauron.
En insistant pour aller un peu plus loin que le sentier semble le permettre pour aller observer les glaciers, voilà que ce voyage m’offre un nouveau moment de magie à faire voler à quelques mètres de nous un couple de condors enseignant à leur petit leur art. Malgré le froid et le vent mordant, nous restons une heure à profiter de leur danse aérienne et les observer jouer avec les courants d’air et longer les falaises des différents versants voisins jusqu’à s’élever au zénith et se cacher dans la lumière aveuglante du Soleil.
Si la randonnée était déjà envoûtante avec ses plantes, sa forêt aux arbres terrassés par le vent et ses oiseaux, le vol devant les glaciers aura été le coup de grâce. Heureux d’arriver après 25 km de balade nivelée, nous osons arriver en cours de match pour s’imprégner de l’ambiance sportive lorsque les argentins disputent leur place en quart de finale face aux Pays-Bas.
Pour te donner une image, c’est comme rentrer dans une église durant une cérémonie en parlant fort au téléphone. Tout le monde te regarde et soit tu t’assoies vite soit tu sors. Mais surtout tu ne fais rien d’autre que de regarder le match. Ah, le foot ! J’espère bien pouvoir me récompenser de notre bel effort par quelque boisson houblonnée et un petit snack mais les serveurs et serveuses sont bien trop occupés à contempler l’écran. Les cuisines sont d’ailleurs pour la durée de l’évènement fermées.
Le match se déroule et si j’apprécie tant bien que mal l’ambiance en étant amusé un temps, la fatigue me gagne suffisamment pour me retirer dans mes appartements avant la fin pour écrire et me reposer, la nuit ayant été courte suite à la (bien trop fréquente) joie de vivre des israéliens exprimée sans discrétion.
Allez petite pensée pour tous les voyageurs et toutes les voyageuses qui se retrouvent dans des lieux communs où le respect du lieu et des autres est de mise avec cette petite vidéo.
Fitz Roy
Le lendemain, c’est reparti pour une nouvelle journée à randonner en compagnie de Charlotte et Anthony. Prenant une des nombreuses navettes nous amenant plus profondément dans cette partie de la Cordillère des Andes, un régiment de touristes dont nous faisons partie est déposé au début d’un sentier. À la lecture de mes cartes, je devine 16 800 de kilomètres carrés de glaciers derrière les sommets que nous pouvons apercevoir. Ce champ sauvage est renversant à imaginer. Normal quand on sait qu’il s’agit de la troisième calotte glaciaire au monde après l’Antarctique et le Groenland.
Après être passés en tête du cortège (des années d’expérience avec le métro parisien), je finis par prendre un peu d’avance pour profiter d’un moment de tête-à-tête avec ma musique. Il semble qu’un oiseau de plus chantonne dans cette forêt !
Passé devant un glacier dominant comme souvent un lac (où je ne piquerai pas une tête vu sa température) et après avoir traversé une plaine ponctuée de cours d’eau, notre trio attaque la partie difficile avec l’ascension d’une paroi raide menant au pied de ce qu’on pourrait nommer le symbole de la Patagonie argentine : le Fitz Roy.
Du haut de ses 3405 mètres, le monolithe de granite fait fi de son mystère et sort timidement de son manteau de brume pour nous dévoiler de gauche à droite ses différents habitants : Saint-Exupéry, Innominata, Poincenot, Fitz Roy, Mermoz, Guillaumet, Madsen.
La récompense au bout du chemin balisé est savoureuse d’autant que j’ignorais une fois de plus à quoi m’attendre en attaquant cette randonnée. La popularité du sentier aurait pu me gâcher le plaisir mais la possibilité d’avoir pu passer en tête du cortège m’aura retiré un peu de cette pression qu’est pour moi pareille foule.
Parfois, l’eau des lacs glaciaires ondule puis un bruit sourd nous interpelle un instant quand un morceau du glacier se détache et vient troubler un instant ce silence divin. Les argentins sirotent leur maté tranquillement pendant qu’un condor nous domine de tout son diamètre. L’heure est désormais au retour et nous prenons le chemin en direction d’El Chaltén. Quelques ruisseaux et lacs plus tard, l’envie d’arriver me gagne et je termine ma route en courant (et décidément, ce n’est pas pour moi).
Bon et quand on le voit bien de bon matin avec sa légendaire couleur rouge, cela donne ça :
El Calafate
Arrivé à destination et sur le départ pour El Calafate après avoir déjeuné et récupéré mes sacs, je passe saluer Anthony et Charlotte tout juste posés au bar pour regarder le match où joue la France (et il n’est clairement pas bienvenu de crier son patriotisme). Quatre heures de bus plus tard, je répète le même schéma qu’à mon arrivée à El Chaltén et je trouve un logement abordable difficilement.
Mon temps ici sera partagé entre le bar où je retrouverai plusieurs compagnons de voyage (Marion, Charlotte et Anthony mais aussi Valeria mon hôte chilienne de Vicuña et Erika rencontrée en excursion), le musée où j’apprendrai pas mal de choses sur l’histoire du pays et l’incontournable glacier plus grand que la capitale, le Perito Moreno.
Un brin d’histoire argentine
Jusqu’ici j’ai eu l’occasion d’en apprendre régulièrement sur l’ère pré-inca voire l’époque de la colonisation mais peu sur l’arrivée des humains avant les premières civilisations. C’est dans le musée d’histoire naturelle de la ville que j’en découvrirai davantage. L’être humain est donc arrivé entre -14 000 et -13 000 sur le continent (en passant par la connexion de l’époque entre la Russie et les États-Unis).
Le plus intéressant est qu’en 5 000 ans de cohabitation avec la mégafaune locale aura suffi pour causer l’extinction massive de 83 espèces de mammifères (chasse d’animaux se reproduisant peu, modifications anthropiques de l’environnement…).
J’apprends les conditions de colonisation de l’Argentine qui ne font pas exception dans la lignée d’une certaine sauvagerie et indécence. Le XVIe siècle est ainsi marqué par l’exploitation massive des ethnies locales et le viol de femmes conduisant les peuples américains à des rébellions et des adaptations.
La révolution industrielle arrive avec le XVIIIe siècle et les technologies permettent d’incorporer plus de territoires. Les pampas de la Patagonie n’incorporent au marché mondial (cuirs, graisses, laines, viande salée, etc.). C’est une époque de conquête et de génocide où l’on cherche à substituer la population autochtone.
C’est fou comme notre espèce est créative quand il s’agit de nuire ! Durant cette guerre, l’armée a perfectionné, crée et appliqué des dispositifs répressifs : exécution, disparition, emprisonnement, torture, appropriation et distribution de mineurs. Cela amènera évidemment un racisme constant qui perdurera dans le temps.
Dans les années 1870, la lutte s’approfondie avec la division communautaire et familiale exécutée par les fonctionnaires, les juges et la police. Se rajoute à cela la propriété privée réservée aux blancs et l’autorité parentale revenant aux hommes.
L’héritage de cette domination existe encore aujourd’hui même s’il est fortement rappelé à l’ordre et détruit petit à petit (la preuve : j’apprends tout cela dans le musée municipal). Il reste néanmoins à continuer de délier les langues, reconnaître le passé et cesser de rendre invisible l’indigène qu’il soit encore à vivre en communauté ou dans le patrimoine génétique des argentins (à hauteur de 52% de ses habitants).
À partir de 1880, les états nationaux vont distribuer les terres prises et en faire de grandes exploitations pour des millions de moutons. Les communautés seront concentrées dans des réserves et les espèces locales seront décimées. C’est la création d’un désert biologique, blanc, de laine.
La naissance de ce système technologique chilien et argentin génèrera évidemment une crise sociale avec de nombreuses grèves face à la baisse des salaires, l’abus de travail temporaire et l’endettement systématique. Une crise environnementale due au surpâturage et à la réduction de la biodiversité aura pour conséquence la désertification des champs.
Mais je n’irai pas plus loin que le musée sur l’histoire du pays et si tu veux en savoir plus, internet est ton ami ! Allez, il est temps d’aller voir une merveille.
Perito Moreno
Ce glacier fait 5 km de long pour environ 170 mètres de haut dont 75 sont émergés, le reste étant sous les eaux du lac Argentino. Avançant d’environ 2 mètres par jour, son front s’effondre régulièrement à sa tête en étant éprouvé par le bras du lac qui se contracte ici et entaille le glacier. Cela vaut périodiquement des effondrements impressionnants notamment celui d’une arche quand la glace atteint l’autre rive et que le bras creuse par-dessous.
Difficile de décrire cette mer blanche et bleue ciel qui se jette sur moi depuis le mirador où des sentiers de randonnées sont proposés. Ses proportions sont insensées. La vue est fascinante et porte jusqu’à l’horizon. Les autres sens sont à l’affût, en particulier l’ouïe face au moindre bruit sourd annonçant un mouvement du glacier. Comme il se renouvelle de façon cyclique, je n’éprouve même pas de remord à avoir la chance d’en voir un pan s’effondrer puisqu’il semble que le Perito Moreno se porte plutôt bien pour l’instant dans les prémices du changement climatique.
Mais plutôt que de me perdre davantage en description, autant se mettre à apprécier de suite cette beauté en images.
Prochaine destination, mon seul objectif que j’ai en tête depuis le début, peu importe les autres itinéraires envisagés par la suite, c’est bien sûr la fin du monde : Ushuaia.