Une capitale qui parle fort

Jours 159 à 168 – Vendredi 30 septembre à vendredi 7 octobre 2022 – Lima, Huacho, Caral – Pérou

Tu prends l’habitude, c’est évident qu’au Pérou, je vais commencer cet article par un énième « Arrivé à l’aube en bus ». Je m’en passerais bien ! Mes pieds touchant donc le sol liménien avant le chant des coqs, je me repose un instant à l’auberge de jeunesse avant de partir découvrir l’histoire de la ville à travers un free walking tour dans le centre historique. L’agglomération est immense et compte plus de 12 millions d’habitants c’est à dire pas loin de 40% de la population du pays. Pour te donner une idée, la deuxième ville est Arequipa avec « seulement » 1 million d’habitants. Le trafic y est effroyable et les voies dédiées au métro et aux bus sont les bienvenues.

Ma musique “mémoire” du lieu, à écouter durant ta lecture si ça te dit !
Une voie centrale dédiée aux bus. Ah, quel plaisir de voir des gens agglutinés et malpolis se bousculer et se précipiter sur les premiers fauteuils libres.

Désertique mais loin d’être désertée

Habitée dès les années 100 par la civilisation Lima, la vallée des trois rivières dont elle fait partie est désertique. Son fleuve, Rimac, tient son nom du quechua et signifie « qui parle fort » en raison du bruit de son courant lors de la saison des pluies. D’une mauvaise prononciation de ce nom s’ensuit celui de la métropole, Lima. Le bruit de l’eau s’en trouve aujourd’hui étouffé par celui de l’urbanisation et des klaxons. Des vestiges entourent la capitale (genre 500, ça fait beaucoup) dont certains encore impressionnants que je ne raterai sous aucun prétexte.

Le fleuve Rimac

Bien sûre conquise par les incas pendant un temps, l’histoire de la cité prend un nouveau tournant avec l’arrivée de Pizarro qui voit la praticité de cet endroit pour fuir par la mer tout en ayant accès à l’eau dans ce contexte de côte désertique sur tout le pays. Après 300 ans sous le règne espagnol, le vent de l’indépendance régnant sur le continent n’épargne pas le Pérou. Face aux royalistes, une expédition de patriotes chiliens et argentins arrive en 1820 aux portes de la ville. Dirigée par le général José de San Martin, personnage désormais iconique pour le pays, et appuyé par Simon Bolivar qu’on ne présente plus, la menace qu’elle représente aura suffit pour pousser la ville à déclarer son indépendance.

Une place dédiée à San Martin

La guerre d’Indépendance laisse place à une première République sous le signe du désordre politique (10 présidents entre 1839 et 1851) et de la stagnation économique. Un temps incluant le territoire bolivien (bien plus large à l’époque avant de se faire grignoter par ses voisins), le pays connaît un véritable essor seulement à la fin du XIXe siècle et la stabilité du pays n’est pas bien vieille. Les tremblements de terre sont ici monnaie courante et en 1940, une secousse est dévastatrice. Elle oblige la reconstruction de la ville dont le centre est aujourd’hui classé patrimoine mondial de l’UNESCO. À écouter les locaux, il est d’ailleurs attendu avec une certaine résignation un prochain tremblement d’une puissance suffisante pour ne laisser de la capitale que des ruines.

Le Pérou connaît sur cette période de développement une immigration chinoise puis japonaise assez forte pour venir répondre à la pénurie de main d’œuvre (engendrée par la fin de l’esclavage) pour la collecte du guano et quelques travaux agricoles. Le mélange des cultures fera partie du charme du pays à ma visite où la cuisine fusion est une fierté nationale et (régulièrement) un délice pour les papilles.

Dans un contexte historique plus récent, la jungle plus dans les terres abrite encore une grande production de cocaïne fortement combattue. Le COVID a fait des ravages au point que le pays est le deuxième le plus touché après l’Inde. La langue quechua est peu usitée sur la côte, vue comme une honte de ne pas parler espagnol pendant un temps. Les communautés indigènes de la jungle et des Andes continuent néanmoins à l’enseigner à leurs enfants. La découverte et le succès du Machu Picchu redore d’ailleurs le blason de ces communautés dont les traditions attirent mondialement.

Enfin, le jus de raisin est bien fameux par ici, enfin son eau-de-vie appelée pisco (dont les chiliens défendent en être à l’origine). Avec ses 42%, les cocktails qui en sont dérivés viennent accompagner à la perfection les mets locaux. Chaque 4ème dimanche de juillet, la fontaine de la Plaza de Armas de Lima est approvisionnée en pisco dans un esprit de célébration. On m’y reprendra à venir à l’automne !

Le pisco sour, véritable star péruvienne !
Quelques unes des nombreuses déclinaisons de cet alcool.

« Heeeere’s Johnny! »

Cette musique…!

Mon passage à la capitale sera marqué par la rencontre de Maru et les retrouvailles hasardeuses avec Daniela rencontrée aux Galápagos et Vanessa rencontrée à Carthagène en Colombie.

Ce sera l’occasion d’y faire des activités parfois touristiques comme un spectacle nocturne de jeux de lumière et d’eau mais aussi de simples balades dans différents quartiers à profiter des saveurs d’une pâtisserie française, à tester ma dextérité sur “Guitar Hero” en borne d’arcanes, à vivre l’expérience de « Shining » dans une salle obscure, à découvrir le parc de l’Amour et quelques mets locaux en bord de plage… Un rythme qui me convient parfaitement où j’apprends davantage de la vie locale sans me surcharger la cervelle d’une exhaustivité parfois superflue de faits historiques.

Sur les nombreuses recommandations de musées à visiter, je me concentre sur un musée bien humble mais qui offre notamment quelques répliques de squelettes de mes reptiles préférés. Une véritable satisfaction pour mon cœur d’enfant me permettant au passage de découvrir un parc inconnu des touristes où les locaux vont se balader en famille et faire du petit train ou du pédalo.

Je me donne les moyens de me rendre en dehors de la ville à Pachacamac, un parc archéologique essentiel sous l’Empire Inca. Cette ancienne cité jouait un rôle capital dans la culture Lima et jusqu’à la fin de l’ère inca garda un rôle religieux, administratif et commercial conséquent pour la région. On estime à 80 000 le nombre de tombes sur le site et plus de 50 structures en pierres et en adobes (briques de terre séchées au soleil). Je suis marqué par la présence de trois constructions réalisées sur différentes périodes. Les Incas se servaient du Temple du Soleil, le plus récent et imposant, pour y réaliser des sacrifices et des offrandes. Le Temple de la Lune abritait quant à lui une résidence habitée par des femmes dédiant leur vie au culte du Soleil.

Le Temple peint, construit vers l’an 600 (en Europe, on voit l’apparition vers l’an 800 des premiers châteaux pour faire un parallèle) par le peuple Wari (succédant à la culture Lima puis soumis par l’Empire Inca), abritait un idole en bois, représentant le dieu donneur de vie. Ennuyé, on dit qu’il bougeait la tête et générait des tremblements de terre. Pour le calmer, il fallait le sacrifice d’un enfant au Dieu Soleil. Le jour où tout son corps bougerait, le monde finirait. Ce temple sera le premier site religieux saccagé par les espagnols. Pour briser toutes les croyances locales, ils se feront un plaisir de briser l’idole devant tout le monde avant de piller la cité pendant plus d’un mois.

J’aperçois deux îles au large du site visité et j’apprends qu’une légende les entoure. Pour les plus curieux, voici un texte français expliquant le mythe tragique de Cavillaca et Cuniraya ou une vidéo en espagnol.


Un voyage dans le temps

Mon séjour à Lima sera entrecoupé par une escapade dans le petit village côtier de Huacho à quelques heures au nord pour y découvrir la seconde plus ancienne civilisation au monde après les Mésopotamiens, la culture Caral. Âgée de près de 5 000 ans, la « ville sacrée » comme les scientifiques l’appellent, abritait de nombreux bâtiments religieux dont les plus importants de forme pyramidale. Il est possible que le quechua, langue parlée par les incas, trouve ses racines ici. Le périmètre de cette civilisation s’étendait de la mer jusqu’aux terres arides, à 44 km des côtes. Elle aurait pris fin vers 1800 avant J.-C. et aurait été le foyer de plus de 3 000 personnes (20 000 sur la totalité du territoire).

Potentiel berceau de la civilisation andine, on y trouve les traces d’un amphithéâtre (avec ses nombreuses flûtes en os), de grandes places et de quartiers résidentiels. Un monolithe donne l’idée que cette culture avait déjà des connaissances en astronomie. La tête de ce rocher est taillée de sorte qu’à tourner autour de la pierre, sa pointe s’aligne parfaitement avec la forme d’une montagne en arrière-plan. Culture précéramique, on y a néanmoins trouvé de nombreux artefacts comme des géoglyphes, des chicras (sacs en fibre végétale pour transporter les pierres et permettre une fois accumulés au centre de la construction de résister aux séismes) et un quipu (un ensemble de fils composé de nœuds, encore utilisé par les Incas à l’époque, servant comme instrument mnémonique).

Le fameux monolithe

Mon aventure à la découverte de ce bijou de l’UNESCO totalement ignoré des touristes pour mon plus grand plaisir me donnera un sentiment d’exclusivité qui ne me quittera pas pendant un temps. Quelle chance d’avoir pu enchaîné la visite de tant de sites archéologiques aussi uniques.

Hébergé chez Maru, je conclus mon escapade à flâner à Huacho en écrivant dans les cafés en me goinfrant de cannelés bordelais à prix dérisoire et profitant du temps libre dont mon hôte dispose pour profiter des activités et mets locaux, me remettant toujours de ma mésaventure dans les hauteurs andines de Huaraz.

N’ayant toujours pas saturé face à l’accumulation de connaissances pré-incas, il est temps de se rendre à Nazca dont les lignes mystiques fascinent le monde entier.

En fait, je suis jamais parti en voyage, j’ai juste ouvert mon salon.

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