Jours 57 à 58 – Colombie – Manizales, Parc National Los Nevados, Manizales
Il est 5h quand j’attends avec Sofia au bord d’une autoroute à quelques centaines d’une autre voie rapide où notre taxi nous a déposé. Un paysan attend sous un panneau de signalisation équipé traditionnellement d’un poncho et d’un sombrero. Un camion approche. Une femme dort à l’avant avec son enfant dans les bras. Le conducteur descend et nous ouvre les portes de la remorque. Un tank à lait vissé au sol occupant la moitié de l’espace, le sol couvert de rouille est trempé. Peu de prises sur les parois et celles existantes sont facilement coupantes. Impossible à ouvrir de l’intérieur. Les portes une fois refermées, nous sommes plongés dans une pénombre quasi-absolue.
Je tente de dormir, allongé à même le sol, malgré le froid mordant du volume. Très vite le bitume laisse place à la terre et la caillasse avec les sensations allant avec. Le trajet se transforme en un manège à sensations désagréable. Le conducteur nous laisse finalement une porte ouverte pour remédier au froid mais le vent et le risque de tomber n’aident pas. Au bout de 2h, nous voilà devant une tienda (une épicerie) perdue où démarre le sentier. Soulagé d’être arrivés avec les dernières minutes éprouvantes de la route, je laisse Sofia profiter des thermes et je me rends au départ de ma randonnée en la sachant à proximité en cas de pépin.
Le Nevado del Ruiz
A 4000 mètres d’altitude, au cœur du Parc National de Los Nevados, je sens dès mes premiers pas un essoufflement inhabituel. Afin d’éviter tout œdème pulmonaire ou cérébral au-delà de 3000 mètres, étant à sujet au Mal Aigu des Montagnes, j’ai pris du Diamox qui a un effet diurétique et augmente la ventilation pulmonaire. Malgré tout, des picotements aux doigts se déclarent avec une sensation de tête qui tourne, un peu à la manière d’un excès d’alcool. Les jambes lourdent, je garde un rythme plus lent que d’ordinaire afin de me préserver face à la raréfaction de l’oxygène qui réduira au cours de mon ascension de 60% à 50%.
Dans un brouillard constant, mes premiers kilomètres à travers la végétation du páramo se font tranquillement dans une météo clémente. Je suis sur mon application une carte hors-connexion en m’aidant de ma boussole pour progresser. Le chemin semble plusieurs fois se dérober et je ne le sais pas encore mais je ne suis pas au bout de mes surprises. Après une heure, le vert laisse littéralement d’un trait place à un noir grisâtre. Le sol est d’un coup chargé de sable et je ne distingue plus rien d’autre que cette coulée de cendres. Je me rappelle enfin que je suis sur un volcan.
Je fais alors la connexion avec une discussion récente où j’apprenais qu’il est l’un d’un des plus meurtriers de notre histoire avec son éruption en 1985 qui fit presque 30 000 victimes. Le gouvernement fut d’ailleurs fortement critiqué pour son incapacité à anticiper ce drame et à réagir malgré de nombreux avertissement et cela renforça le chaos ambiant du pays (peu de temps avant eu lieu la prise du palais de justice de Bogotá dont je te parle dans l’article précédent). Peu de chance pour vivre pareille catastrophe même si le risque zéro n’existe pas. Néanmoins, je décide de me concentrer sur l’aspect aventurier que rajoute l’ascension de mon premier volcan (actif qui plus est) et de savourer cette atmosphère malgré l’odeur de soufre qui se déclare peu après.
Mes pieds s’enfoncent dans les cendres. Le terrain est épuisant en plus des conditions d’altitude exceptionnelles et de la météo. Malgré tout, je reste émerveillé par l’ambiance de ce décor. Les 10°C du départ ne font que chuter. Une averse puis bien d’autres tentent de me décourager mais dans l’effort, équipé de ma veste Gore-tex et de mon mérinos que je chérie, la température me paraît idéale (sûrement pas pour les colombiens bien plus frileux). Dans ma progression, le sentier se fait parfois discret et finit par laisser sa place à une couche irrégulière de neige. Je décide d’y marquer mon empreinte en la suivant autant que possible afin de retourner facilement sur mes pas si besoin. En effet, le paysage est tellement désertique qu’il est probable de se perdre.
Ému de me retrouver face à ce changement d’atmosphère, je finis par céder quelques larmes en arrivant devant ce qui me semble un cratère de ce que j’en distingue dans le brouillard. Plongé dans un silence envoûtant, je prends souvent le temps de m’arrêter et de calmer ma respiration pour l’apprécier. Les nuances de blanc font se confondre le sol et le ciel. L’usage des lunettes de soleil m’étant impossible avec pareille lumière diffuse, je suis forcé de plisser les yeux encore plus que d’habitude. Je distingue quelques rochers plus en hauteur et en regardant la carte, je décide de longer ce cratère qui gagne en altitude.
Mon calvaire commence
Le dénivelé explose. La neige gagne en épaisseur. Le souffle s’emballe et l’oxygène se raréfie encore plus. Avec la sensation de reprendre ma respiration après un sprint constamment, je n’ai pas d’autres choix que de m’arrêter très régulièrement. Je progresse d’un pauvre kilomètre en une heure avec plusieurs fois l’envie de faire demi-tour. La frustration de ne pas voir sa ligne d’arrivée se rajoute au sentiment de stagner. Jamais une randonnée ne m’a demandé pareil effort. C’est à la fois exaltant et déroutant. Il ne me reste que 1,25 km à parcourir pour atteindre le sommet. Je peux le faire !
Quel optimiste… La paroi se présente encore plus pentue. L’épaisseur de la neige peut désormais cacher des crevasses et celle de la cendre me donne le sentiment de reculer à chaque nouveau pas. Après plusieurs averses de pluie et de neige et à marcher sur pareil chemin, je commence à sentir l’humidité dans mes vêtements me refroidir. L’idée d’abandonner ne me semble pas envisageable. Après plusieurs chutes, pauses et rechutes sans progresser et sans trouver d’alternative, je finis par me dire que face à ces conditions et au risque augmentant avec la difficulté et la fatigue, il serait temps de faire marche arrière.
Mon objectif était de tester mon corps face à pareille altitude car d’autres ascensions en haute-altitude sont à prévoir au cours du voyage. Je savais qu’il y avait un fort risque de ne pas aller jusqu’au bout. Ce qui me conforte à envisager de céder est finalement que ce n’est pas mon corps qui me freine (même si le défi est bien physique) mais la paroi face à moi qui nécessite plus d’équipement et l’absence de sentier qui ne me laisse pas savoir si je suis au bon endroit. Après un moment à étudier la question, je rebrousse enfin chemin à 5135 mètres, à seulement 150 mètres d’altitude d’écart de mon objectif.
Un abandon satisfaisant
Le froid mordant me tire le visage. La fatigue m’assaille pendant que mon corps se relâche. La première heure de descente est éprouvante dans la neige et la cendre. Toujours dans la brume, je dévale en moins de 2h30 ce qui m’a pris presque le double à escalader. Trempé, je retrouve à la tienda Sofia qui m’attend grelotante. Plus de camion pour rentrer et ici pas de bus… Elle envisage de gagner un village plus bas en altitude si nous ne trouvons pas de solution dans l’heure pour revenir à Manizales. Par chance, nous arrivons à convaincre une des rares voitures de nous prendre en stop sur une partie du chemin. Serré entre deux personnes, épuisé, c’est reparti pour la même route que ce matin. Je n’ai qu’une envie : dormir au sec et au chaud. En attendant, je prends mon mal en patience.
Changement de voiture. Levée de pouce sous la pluie. Enfin, une Twingo s’arrête. Contrôle de police interminable. Laissés au bord de l’autoroute, taxi direction mon premier repas de la journée. Je me découvre rouge vif devant le miroir et comprend que ce n’est pas le froid qui continue de me mordre mais le soleil qui s’est fait une joie de m’inonder de ses ultraviolets au visage. Brûlé jusqu’aux paupières au point de ne plus sourire sans en souffrir, je passerai les 72 prochaines heures à me passer une pommade anti-brûlure toutes les 30 minutes. Malgré tout, je reste sur un nuage face à l’expérience difficile -mais tellement belle- que je viens de vivre.
Ne voulant pas m’imposer davantage chez Mariana et Sofia, je décide de tenter de quitter la ville pour ma prochaine destination. Après un échec cuisant, je gagne un hôtel semblable à une prison mais ce soir c’est un palace à mes yeux. Je décide face à mon état de rester un peu plus longtemps et de profiter de ce temps pour écrire au café Suiza et passer du temps avec les autres locaux rencontrés récemment. Mercredi 22 juin, je me mets enfin en direction du village de Salento, lieu recommandé par de nombreux touristes pour ses paysages ponctués par les palmiers de cire.
T’es un grand fou! Bravo!
Mais c’est plus des vacances 😁
Bravo en tout cas, quel courage !
A chaque lecture, on voyage en même temps que toi!! Merci JB!! Je dois avouer que tu es un grand malade quand même!! Je serai effrauyée à ta place loool! BRAVO!
Haha je suis heureux de te faire voyager ça motive pour l’écriture ! Actuellement en Équateur, la tentation est grande de faire d’autres périples de ce style…!
Je ne sais que dire… T’es un grand malade !? Oui c’est ça !
Pourquoi t’es pas descendu sur les fesses ?
Je me perds un peu dans les dates, je ne serai pas contre un rappel chronologique en début et en fin d’article !!
Continues et profites !<3
J’ai rajouté les dates au début des articles en parallèle de la carte, j’espère que ça aidera 🙂 !