Jours 154 à 158 – dimanche 25 à jeudi 29 septembre 2022 – Huaraz – Pérou
Ouais, je suis pas peur fier de mon titre et tu le comprendras d’ici la fin. Sauf si tu as regardé que les photos. Dans ce cas, tant pis pour toi.
Ne sachant pas où faire ma randonnée pour tester le matériel et le climat montagnard de nuit, je demande conseil au loueur dans le magasin spécialisé dans le matériel de haute montagne. La tente que j’ai acheté fera l’affaire pour une seule nuit même si j’aurai besoin d’une meilleure résistance à la pluie si je pars 8 jours faire Huayhuash en autonomie.
Sur ces conseils, je pars faire la randonnée des 4 lagunes, relativement tard, ne souhaitant pas arriver trop tôt là-haut et patienter tout l’après-midi dans ma tente. Après la prise d’un colectivo (navette en minibus), j’attaque la randonnée vers les 10h du matin avec un sac d’une douzaine de kilos, de quoi cuisiner grâce à un réchaud et des bâtons de marche pour augmenter mon endurance. J’ai bien sûr avec moi ma couverture de survie et ma trousse à pharmacie ainsi qu’une batterie externe pour être paré à toute mésaventure. Enfin, je suis vêtu de mes vêtements en mérinos qui gardent la chaleur du corps malgré la transpiration et l’humidité éventuelle. Sans oublier ma veste Goretex qui me protège du vent.
Maintenant au fait de ma préparation, place au récit !
10h55 : En direction de la première lagune, Radian, un berger indigène tente de faire me payer un péage sans raison alors qu’au village on m’a assuré l’ascension gratuite. Il est fréquent de voir des péages indigènes ici qu’il faut accepter de payer pour éviter tout ennui comme le vol d’affaires ou une quelconque agression. Mais pas sur cette randonnée.
11h26 : Après une demi-heure à contourner la zone pour ne pas payer cette taxe, voyant le péruvien me chercher autour du lac, je me permets depuis mon mirador une petite danse de la joie appréciant la vue sur l’étendue d’eau.
11h59 : Un berger est assis dans un pâturage et reste muet quand ses 5 chiens m’attaquent. Voir les bestioles charger au loin en m’aboyant dessus me met en état d’alerte immédiat. Je me munis d’une pierre et je lève l’un de mes bâtons en leur hurlant dessus. Je tente de faire face aux 5 à la fois tandis qu’ils tentent de m’entourer. Je préfère éviter d’en blesser un, même pour me défendre, mais je veux tout autant me passer d’un séjour à l’hôpital pour parer tout cas de rage. En suivant le chemin en marche arrière pour m’éloigner autant que possible, je finis par trébucher et me blesser à la main et au coude. En repartant, je hurle face au berge responsable de cette situation qui, je l’apprendrai plus tard, est fréquente avec lui. Crétin des Andes.
12h35 : Après désinfection des plaies et un retour au calme facilité par les paysages m’entourant, je vois mon objectif du jour apparaître devant moi avec le glacier de Vallunaraju à 5 700 mètres dominant deux lagunes dont Mullaca au bord de laquelle je compte camper.
13h42 : Assiégé par une tempête de grêle et d’éclairs, je trouve refuge sous un rocher où j’arrive à glisser mon sac et mon royal fessier. Une chance car les grêlons sont de plus en plus gros et finissent par faire mal !
14h38 : De nouveau sur la route depuis quelques minutes dès que la grêle cesse, c’est au tour de la neige de tomber. Très sûrement un coup de Saroumane pour me faire passer par les mines de la Moria !
15h12 : Après un autre type de barrage avec des vaches cornues sur le sentier que je contourne sans hésiter, me rappelant la randonnée de l’an passé avec mon frère où une vache lui a donné un coup de tête, j’arrive à la lagune Mullaca. Je trouve un muret circulaire de pierres pour m’abriter du vent et y planter la tente.
15h51 : Je l’aurais brûler, cette tente ! À peine plantée que je vois les gouttes perler et le sol se charger en eau. Il est tard et je dois prendre rapidement des décisions. Impossible de passer la nuit ici vu l’absence totale de résistance à la pluie ou la neige de cette tente qui devait pourtant en avoir suffisamment pour ces conditions. Je jure de m’en débarrasser à mon retour à Huaraz. Faire demi-tour représente 12 km de marche et le risque de faire à nouveau face aux chiens. Je choisis de finir la boucle que j’avais prévu en deux jours aujourd’hui. Encore 10 km et seulement 1 km d’ascension.
17h13 : J’arrive enfin au sommet. Ce kilomètre m’aura pris 1h20, à escalader une paroi rocheuse recouverte de neige dans le brouillard. Sentant le danger, risquant de glisser, j’envoi un message à un groupe d’amis leur demandant d’appeler les urgences ou l’ambassade s’ils n’ont pas de nouvelles de moi dans les prochaines heures en précisant ma position GPS. Je croisais les doigts pour que la descente soit plus facile mais je suis sur de la roche lisse comme celle d’un ancien glacier avec de la caillasse et de la neige. Le fléchage est en blanc. Impossible de se repérer.
La progression est difficile et dangereuse. Je suis acclimaté et heureusement à 5 000 mètres d’altitude mais la fatigue, le froid et la précipitation d’éviter la nuit m’embrouillent l’esprit. Pour me repérer, je suis les cairns qui ne sont pas pour autant fiables mais ma meilleure solution à l’heure actuelle.
19h02 : Tant de choses se sont passées… Me voilà enregistrant une vidéo pour mes proches expliquant ce qu’il s’est passé au cas où je ne m’en sortirais pas.
Devant rejoindre la dernière lagune, Ahuac, plus bas, j’ai omis l’option offerte par un chemin qui retournait vers les hauteurs. Il m’a semblé découvrir un sentier me permettant de descendre. Après quelques minutes, j’ai réalisé que ce n’en était pas un. Je suivais le sillon d’un petit ruisseau alimenté par la neige. Impossible de remonter quand j’ai réalisé mon erreur. Condamné à descendre, j’ai marché dans l’eau malgré le froid afin de limiter mon risque de chute sur cette roche lisse. Le dénivelé m’a poussé plusieurs fois à m’asseoir et glisser ou chuter selon la pente.
La nuit commençait à tomber et conscient que les distances s’évaluent mal dans l’obscurité, je savais que je n’avais plus que quelques minutes pour trouver refuge avant que la température tombe drastiquement. Une vérité difficile à accepter : je passerai la nuit ici. Et il faut y survivre. Pas d’arbre ou de cavité, j’ai escaladé fébrilement un rocher malgré le danger de la chute pour être à l’abri du vent et du cours d’eau.
J’ai installé dans la fente en V d’un rocher ma couverture de survie sur la neige pour couper le froid du sol. Glissé dans mon duvet malgré mes vêtements trempés, j’ai tenté de garder un maximum de chaleur pour éviter l’hypothermie dans la nuit. Mes chaussures sous le dos pour rompre avec la raideur et le tranchant de la roche, en position fœtale, j’ai recouvert mes jambes de mon sac et mon torse de ma veste en Goretex pour faire face à la météo.
19h25 : Aucun signal. Impossible d’appeler les urgences. Le moral en berne, j’ai envoyé un SMS à Camille et Benjamin avec qui j’ai partagé plusieurs treks les jours précédents. J’espère qu’il arrivera à passer dans la nuit et ne sera pas pris pour une blague. J’envoie ma position GPS.
Quand je réalise l’ampleur de la situation, l’un des pires scénarios possibles, je sens la panique monter et je croise très fort les doigts pour me réveiller le lendemain. Afin de calmer mon hyperventilation, aussi liée à l’altitude m’alimentant de quelques 50% d’oxygène, je mâche de la feuille de coca. Je n’ai pas faim ni soif malgré les nombreuses crampes douloureuses qui m’assaillent déjà. Cuisiner sur ce terrain serait difficile et demande une énergie mentale et physique hors du commun.
Je réalise que dans la vidéo que j’ai faite, je n’ai pas de regrets sauf celui de ne pas avoir rencontré ma nièce née dans l’été. L’enchaînement de la situation était improbable et personne n’est à blâmer. Je suis heureux de voir que la philosophie que j’aime afficher est ancrée en moi et non du bluff.
5h43 : La nuit la plus longue de ma vie. Je l’ai passé 11h à greloter et à m’approcher du sommeil sans jamais l’atteindre. Ponctuée de rêves éveillés et de tentatives d’appeler à nouveau les secours, je suis courbaturé, mouillé et gelé. J’attends que le Soleil fasse fondre un peu plus la neige et sèche mes affaires.
7h03 : Je quitte mon abri de fortune, raide et fébrile dès les premiers pas avec la première épreuve de quitter mon nichoir sans me rompre les os. Je vais tenter de rejoindre le sentier une fois en bas de cette falaise qui n’est qu’à 400 mètres.
8h18 : Prendre la décision de chuter d’une dizaine de mètres sur de la roche lisse avec pour destination une paroi rocheuse… Tout ça pour progresser, malgré le danger que cela représente, afin de se donner une chance de s’en sortir : voilà quelque chose auquel il ne faut pas trop réfléchir au risque de rester bloqué par la peur. Ma bonne étoile est avec moi. Je suis couvert de bleus, j’ai ouvert un gant et une chaussure et j’ai cassé un bâton mais aucun os.
Le bas de la falaise est atteint. Victoire ! Je peux enfin rejoindre mon chemin qui devrait se trouver en haut de cette côte… derrière cette falaise d’une vingtaine de mètres me narguant, impossible à escalader.
Effondrement mental et physique.
J’évalue mes options qui n’en sont pas. À la vue de la raideur de la pente, aucun chemin ne me garantit un retour à la maison sur mes deux jambes. Par chance, je retrouve enfin du réseau et les messages de mes amis me redonnent l’énergie vitale dont j’avais besoin.
Les urgences n’entendent pas la gravité de ma situation même si je ne suis pas en danger de mort immédiat, je reste toujours en danger. Impossible pour un guide de me retrouver ici. Mon opératrice m’informe qu’elle va m’envoyer une escouade de la police de haute montagne.
9h30 : J’ai placé des repères visuels pour mes secouristes afin d’être vu de loin. L’ambassade française m’a appelé suite au signalement de Camille et Benjamin et m’a rassuré qu’ils s’assuraient que je sois rapidement pris en charge par les secours, le Pérou n’était pas le pays le plus organisé et réactif du monde.
9h41 : Je dois maintenant reprendre quelques forces. Le filtre de ma gourde me permet une ressource illimitée en eau et toujours sans faim, je me pousse à avaler quelques tranches de pain. Je profite aussi de recharger mon téléphone sans l’utiliser autant que possible. Chaque pourcentage pouvant compter.
12h02 : L’attente est longue. Les premiers rayons de Soleil de la journée ont laissé place à une succession de pluie, de neige et de grêle. Sans avoir pu sécher véritablement, attendre est une nouvelle épreuve. Je ne dois pas bouger. On m’a annoncé arrivé entre 12h et 14h. Je me protège à nouveau de ma couverture de survie qui est loin de suffire pour avoir chaud.
15h34 : Lénine, l’un des secouristes m’a appelé plusieurs fois sur les dernières heures pour connaître mon état de santé et me rassurer de la progression de l’escouade. Après plusieurs minutes à se géolocaliser à travers des cris et suivre l’écho, je vois deux silhouettes rouges (ça colle avec les idéaux portés par le nom de l’un de mes sauveurs) me dominer du haut de la falaise. Les larmes coulent sans retenues pendant que je prépare mon équipement pour une session d’escalade.
16h50 : Mes forces m’abandonnent mais mon corps tient bon par la volonté. Descendant de 4 800 m à 3 500 m d’altitude, nous faisons une pause à la lagune Ahuac. Ce n’est que la première de nombreuses autres que je demanderai. Je souhaite finir la randonnée avec mon sac. Je tente de suivre le rythme malgré la difficulté que cela représente. La nuit sera tombée quand nous atteindrons le pick-up. Une fois le sac chargé dans le coffre, je m’effondre face à l’effort que représente la marche pour m’asseoir sur le siège arrière. Je l’ai fait, j’ai survécu. Pardon, mon corps, de t’avoir infligé ça.
20h58 : Déposé à mon auberge, je vais rendre le matériel de location en présentant mes excuses pour le retard. Je m’étais juré de retourner à la crêperie Patrick pour une fondue si je survivais à cette épreuve. Verre de vin à la main, je tiens parole, toujours les pieds trempés et à vrai dire sans appétit malgré ces dernières 48h sans repas. Le repas me rendra d’ailleurs presque malade, malgré sa saveur, le ventre encore noué par l’aventure que je peine à réaliser.
22h11 : Je signe la fin de mon épopée par un verre de calvados maison avant de me diriger vers mon lit chaud. Je suis l’homme le plus chanceux du monde et j’en lève mon verre à toutes les personnes qui y ont contribué.
Les jours suivants, mon corps se remet difficilement des nombreux coups reçus et c’est le mental qui mettra de nombreux jours à réaliser ce qu’il s’est passé à force de (se) raconter l’histoire et envisager les autres scénarios moins happy-ending. J’offre un verre à mes sauveurs comme je leur ai promis. Je passe le reste de mon temps à m’isoler pour écrire et m’échapper à travers la musique et les films. Ce calme et ce confort sont les bienvenus.
Bien sûr, pas d’autres randonnées programmées. J’ai côtoyé la mort là-haut et je dois prendre du temps pour le digérer. Les nombreux messages que je reçois pour s’informer de mon état me donne du baume au cœur même si les « fais attention », partant d’un bon sentiment, n’ont pas vraiment leur place. Cette randonnée était un test justement par prudence et les chances de terminer ainsi sont faibles. Il n’y a jamais de risque zéro. Cela fait cinq mois que je me montre prudent en voyage et limite les risques. Je m’estime prudent mais cela ne veut pas dire que rien ne peut se passer.
Enfin, je voyage seul et même si je rencontre des personnes au quotidien, je ne vais pas définir mon voyage en rapport aux autres. Si quelque chose semble dangereux, je cherche à le faire à plusieurs mais cette randonnée ne devait pas en faire partie. Ma météo a signé le début de la saison des pluies dans la région et les secours m’ont assuré que j’avais eu les bons réflexes en plus d’avoir le matériel nécessaire pour affronter cette situation. En attendant, je découvre être passé à la TV nationale, la radio et dans les journaux avec des informations parfois erronées ou qui se contredisent. Cocasse.
Je ne regrette pas d’avoir vécu cette épreuve même si ses enseignements prendront du temps à être complétement assimilés. Maintenant, retour vers la chaleur de la côte désertique avec pour destination la capitale péruvienne.
Putain de merde 🫣 comme tu le sais je ne suis pas très lecture mais je n’ai pas pu décrocher 😨 quelle aventure mon ami, quelle épreuve mais que je suis ravie que tu t’en sois sortie. J’en ai les larmes au yeux. J’ai hâte de te revoir pour que tu nous racontes tout ça de vive voix autour d’un verre 😘😘😘 on pense fort à toi.
Sophie et Boubou
Salut vous deux ! Cette aventure me promet plein de verres dans le futur, décidément pas de regret à l’avoir vécu héhé ! Avec un grand plaisir pour ce verre et merci de m’avoir lu jusqu’au bout, haha ! Des bises
C’est clairement une expérience de vie, et non de mort, que tu as bien fait de coucher sur le papier et de partager.
Le principal est que tu en sortes indemne et comme toute expérience, facile ou extrêmement difficile, elle t’apportera quelque chose dans ta vie.
Hey PPBG ! A vrai dire, j’ai pris un grand plaisir à la coucher sur le papier et l’immortaliser. J’aime bien cette tournure, expérience de vie ! Bisous bisous (TMTC)
Dépasser ses limites dans la douleur est toujours exaltant mais limiter les risques est aussi être prévoyant… trois avertissements sur ton parcours, fait demi tour …..
Coucou papa, bien noté, dans deux avertissements, je fais demi tour pour Huaraz et retenter le trek. Comment, j’ai pas compris ?! :)-