Greenwashing

Jours 102 à 104 – Jeudi 4 à samedi 6 août – Tena, Shandria, Santa Clara – Équateur

Parfois, mon regard d’européen peut empêcher de prendre une honnête opportunité pour ce qu’elle est mais le voyage nous rentre aussi dans la catégorie de « pigeon avec un portefeuille bien trop lourd ». Difficile donc de trouver un équilibre. Quand Salomon nous contacte pour nous ouvrir les portes de son village indigène à la lisière de la forêt amazonienne, je prends le temps d’échanger avec les autres personnes ayant séjourner chez lui pour m’assurer qu’il n’y aura pas de demandes particulières inattendues. A priori, tout semble normal même si l’insistance de l’individu nous interroge : « qu’a-t-il donc à gagner ? » ; « est-ce purement de la générosité et un excès d’excitation de sa part ? » ; etc.

Ma musique du lieu jouée par Alex au ukulélé

Nous prenons la décision avec Alexandre (qui reçoit non pas sans stress les dizaines de message et de photos au quotidien de notre hôte en devenir), Thibault, Romane et Fernanda de passer quelques jours sur place. Si quelque chose se passe mal, nous sommes en nombre et libres de partir. Le jour du départ, nous prenons notre temps pour arriver à Tena et Salomon nous informe nous attendre déjà au terminal depuis 8h du matin. Embarrassant quand nous projetons d’arriver en fin de journée.

Je te donne une idée du nombre de peuples indigènes équatoriens. Nous nous rendons dans le peuple 28.

La communication semble compliquée. Débarquant à Tena, difficile de comprendre si nous devons acheter à manger ou non. Pas de prise de risque alors malgré l’angoisse d’avoir fait attendre notre hôte, nous nous dépêchons de faire un ravitaillement. Un minibus nous emmène jusqu’au village de Shandria. Sur place, nous rencontrons les autres voyageurs invités et logeant directement dans la maison. Après un dîner avec Salomon qui nous fait défiler sur son téléphone des photos de toutes les personnes ayant séjourné chez lui, nous quittons le village. Longeant une rivière quelques minutes, nous découvrons des cabanes en bois qui nous hébergerons sur notre séjour, entourées de la forêt tropicale riche en cafards et en cacaoyers. La promesse d’une belle expérience !

Après trop peu de sommeil, nous voilà de retour au village à 3h du matin pour répondre à l’invitation de boire le thé lors du congrès annuel FOIN des peuples kichwa. La place est déserte et nous patientons 30 minutes avant qu’une cloche retentisse pour motiver les habitants à se lever et se rendre dans le gymnase couvert. Au centre de l’attention, un groupe d’individus représentant les différentes communautés kichwa. Nous assistons à l’ouverture officielle accompagnée de discours en dialecte local impossible à comprendre. Le guayusa qui nous est offert nous dope bien plus qu’un café corsé par sa concentration de caféine (7% contre 2%). L’observation sur la première heure laisse place à l’ennuie sur la seconde. Nous persistons à rester à l’écoute et respectueux face à des traditions qui nous sont étrangères.

Des femmes font le tour de la centaine de participants pour leur offrir après le “thé” la chicha, boisson traditionnelle faite de manioc mâché et fermenté à la couleur blanchâtre et parfois riche en grumeaux. Servie dans des noix de coco, il faut la boire vite afin de rendre le bol à la serveuse qui attend de la remplir pour le voisin.  Si le premier verre (enfin on est plus proche d’une 33 cl ou d’une pinte) est une découverte amusante, les 2-3 prochaines tournées le sont bien moins et virent à l’écœurement accompagné de quelques fous rires de fatigue en revoyant dangereusement la serveuse se rapprocher. Il est 5h30 quand nous demandons poliment à notre hôte de nous retirer pour retourner dormir.

À peine la montre a le temps d’afficher 9h que notre hôte tambourine à la porte d’Alexandre pour s’affoler que nous ne soyons pas prêts pour partir dans la jungle voir des cascades avec son frère. Le tarif est fixé à 25€ par personne pour cette balade qui sollicite du temps pour notre guide. Finalement, c’est 25€ au total. Mais en fait, certaines personnes n’ont pas à payer. Le trajet n’est que d’une heure mais il se transforme en randonnée de cinq heures. Et finalement, il n’y a pas de cascades ici. Se comprendre devient décidément un véritable casse-tête des plus désagréables. Notre hôte semble souffrir d’une mythomanie des plus sévères à nous donner des réponses différentes chaque fois en nous « rassurant » qu’il a informé untel ou unetelle.

La « balade » dans la forêt tropicale nous apprend peu de choses avec les explications approximatives de notre guide qui cherche à avancer à la vitesse d’un trail quand nos corps subissent avec peine la chaleur humide. Expérience amusante à tirer à la sarbacane sur un morceau de bois (plutôt que sur les oiseaux). Certaines tribus y déposaient le poison de grenouilles pour chasser l’Espagnol.

Pour couronner le tout, nous sommes accompagnés d’un groupe d’enfants et préadolescents. Leur présence nous interroge d’autant que plusieurs fois la question nous a été posé de notre statut marital. Ici, il n’est pas si rare de se marier ou de d’enfanter avant la majorité voire l’adolescence. Je t’assure que ça remue de voir un gros bidou sur une préado de 13 ans…

Nous sommes attendus au retour pour aller aider la cousine de Salomon à préparer son mariage qui a lieu le lendemain et auquel nous sommes invités. Après d’innombrables autres rebondissements que je passerai, nous repoussons notre départ pour le mariage au samedi matin dont l’horaire en à peine quelques heures changera au moins six fois. Il est temps d’aller se libérer de cette tension pesante avec une toilette dans la rivière qui semble le domicile de quelques caïmans et anacondas. Maxime, qui nous rejoindra dans la soirée pendant que nous nous relaxons autour de quelques bières dans l’ambiance désormais festive et peuplée du congrès, m’apprendra que ces eaux hébergent également le candiru, un poisson parasite pouvant rentrer dans l’appareil génital masculin par l’urètre. S’il n’y a qu’un seul cas connu, il suffit néanmoins à provoquer quelques frayeurs chez les peuples amazoniens.

De bonne heure, nous voici à Santa Clara à une heure de route de notre village pour aider à préparer la salle et la nourriture du mariage. Sans explication de notre cher Salomon qui se contentera de regarder les préparatifs en discutant avec d’autres locaux, nous cherchons plusieurs fois à nous rendre utile. Quelques coups de main plus tard, nous voici à errer la majeure partie de la journée. Cela valait décidément bien le coup de se lever tôt. Plus de 350 personnes prennent place sur les tables et les gradins du gymnase où se tient la célébration. Après quelques danses au rythme des musiques traditionnelles, le couple se voit offrir par une file d’invités de nombreux présents pour meubler leur futur logement. Les heures passent sans grands rebondissements. Le regard sceptique des autres familles kichwa est lourd. Salomon invite deux de ses convives qu’il sépare d’une extrémité à l’autre de sa table. Il semble qu’y avoir des “blancs” soit un signe de puissance.

Dans un calme improbable, la célébration continue. Les invités les plus importants sont servis en premiers. Les derniers mangeront froids. Ici, on mange d’abord, on boit après. La nourriture qui paraissait pourtant appétissante durant sa préparation me secouera. Heureusement que malgré la promesse non-respectée d’un déjeuner, nous avons pris la liberté d’aller nous remplir la panse. Le bouillon que j’ai entre les mains dégage une odeur épouvantable me donnant des hauts de cœur. Des morceaux de viande et de poisson en dépassent. Le bout de manioc que j’ose avaler est imbibé du mélange et je me vois établir toute une stratégie pour m’éclipser des regards indigènes et me débarrasser de mon offrande. Difficile d’assumer pareil gâchis mais je préfère éviter de me rendre malade.

Il est 22h et plusieurs d’entre nous souhaitent partir pour au moins profiter du cadre exceptionnel que nous avons dans la jungle le lendemain avant de le quitter l’après-midi. En demandant à Salomon comment nous pouvons trouver une solution sans qu’il soit empêché d’apprécier le mariage, sa réponse est à la hauteur de sa considération pour ses invités. Il nous indique la route en nous précisant qu’on peut se débrouiller à trouver un bus (à cette heure, j’en doute) ou à faire du stop. Si jusqu’ici j’ai réussi à prendre du recul pour éviter d’interpréter ses actions, me voilà désormais furieux de voir pareil comportement. Heureusement, je ne suis pas seul et la musique commence enfin à monter en décibels.

Certains kichwa se montrent finalement sympathiques avec nous et nous sommes les premiers à animer la piste de danse (après avoir demandé si c’était acceptable évidemment). Nous devons patienter jusqu’à minuit pour qu’un taxi nous ramène selon notre hôte. Bien sûr, une fois l’heure, il nous informe que le chauffeur est ivre et qu’il faut attendre jusqu’à 5h du matin ou débourser 200 dollars pour en appeler un autre. Aussitôt informé, je prends mon sac et je préviens mes camarades que je ne reste pas une seconde de plus ici, certain de trouver une meilleur solution que de subir ce traquenard. C’est à peine quinze minutes plus tard que nous sommes tous dans un taxi pour rentrer au village. À l’aube, nous quittons les lieux sans un mot pour rejoindre la ville de Baños. Enfin sortis de cet enfer vert.

“C’est fini, Tibou, t’inquiète pas”

Si le lieu était idyllique, le manque de considération et l’incompréhension face à notre hôte m’aura provoqué ma première manifestation de colère sur le voyage. Si la promesse d’une expérience inoubliable est tenue, la déception ne doit pas laisser place au jugement de Salomon. Peut-être y-avait-il des objectifs cachés, qui sait ? De mon observation, je doute que ce soit une différence culturelle pour avoir échangé avec d’autres kichwa. Mes collègues des Monts du Lyonnais le savent, j’aime me rappeler le rasoir d’Hanlon. Cette règle de raisonnement défend qu’il ne faut « jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer ». Sans certitude et sans volonté de deviner le pourquoi du comment, mon constat est simple : sans compréhension mutuelle, aucune raison de se forcer à rester dans une situation déplaisante. Je conclus avec une question pour toi, lecteur, lectrice : qu’aurais-tu fait ?

Comments

  1. Fernanda

    Tu forma de relatar es simplemente asombrosa Jb. Hiciste que una experiencia no tan agradable se lea de forma interesante y divertida. Me encanto!

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