Clap de fin du monde

Jours 232 à 239 – lundi 12 à lundi 19 décembre 2022 – Ushuaïa – Argentine

Ma musique “mémoire” du lieu, à écouter durant ta lecture si ça te dit !

Qu’il m’est difficile de m’atteler à l’écriture de ce billet. Voilà huit mois bientôt que j’ai entamé ce voyage pour atteindre cette destination qui contre toute attente sera la dernière. Avec son accord, je peux désormais l’évoquer. Depuis deux mois, les nouvelles concernant la santé de ma maman m’occupent et me préoccupent, tout comme le reste de ma famille. D’abord dans l’attente interminable des résultats des examens, c’est la mise en place d’un traitement qui s’annonce tout aussi extrême que la maladie qui m’aura décidé à agir. L’assurance me prendra en charge un vol de rapatriement d’ici la fin de la semaine. Le choix n’aura pas été simple.

Je prendrai pas celui-là.

Pourtant, lorsque je commence à peine à l’évoquer à des sud-américains, la culture de la famille ne laisse même pas la place à la discussion et la réponse est, dans leurs bouches, évidente. Faute de vouloir (peut-être pouvoir) se projeter sur la culture qui est la mienne et un système de santé différent, l’absence de compréhension m’isolera davantage malgré toute la sympathie partagée. Peu connaissent la force et la volonté d’indépendance de ma maman et les relations qui nous lient. Et je remercie grandement mes proches qui me tendront une véritable oreille pour m’aider à prendre une décision.

Ce site, j’en ai aussi eu l’envie pour partager mon aventure avec elle et la faire s’évader un temps de ses quatre ans de traitement et de combat. Il me semble que rayonner du positif, sans le forcer, peut jouer dans toute relation. Cela semble bien préférable à se rendre malheureux à son tour. Compatir, accepter, rayonner en quelques sortes plutôt que s’apitoyer, nier et attendre.

Si sa situation était plus stable à mon départ, ce n’est aujourd’hui plus le cas. Aussi, après des semaines où le cœur n’est plus autant au voyage, je réalise que je ne pourrai pas le continuer avec une quelconque paix d’esprit. Cumulant les moindres éléments positifs allant en direction d’un retour, je choisis de laisser derrière moi ce voyage, un temps ou définitivement. Si ma maman refuse que je rentre pour elle et d’être responsable de la fin de mon périple, elle finit par entendre raison et comprendre que la décision est mienne et mienne seule.

La route de la fin du monde.

En montant dans ce dernier bus depuis El Calafate pour atteindre Ushuaïa, une forme de douce mélancolie positive m’envahit. Mon amie Fernanda à Quito m’a appris qu’il existe un mot en portugais pour cela : saudade (prononcé saudagi). Comme si je prenais le bus pour la première fois avec de nouveau un regard d’émerveillement malgré la fatigue des 100 km de marche des quatre derniers jours et des semaines de traversée encore marquantes.

À mesure que mon transport se dirige vers l’est et quitte la Cordillère, les steppes s’imposent. j’aperçois encore des chevaux sauvages et entre deux pâturages ovins, le voyage me réserve une nouvelle surprise en apercevant quelques spécimens de nandous d’Amérique.

Une belle photo d’Internet pour illustrer le nandou dans son environnement argentin.

Après deux passages de frontière, un ferry bravant les eaux de deux océans au détroit de Magellan et de nombreux kilomètres d’asphalte et de terre battue, les paysages se transforment à nouveau et les forêts de pins abondent. La brume et la pluie m’accueillent dans les Terres de Feu et je ne perds pas une miette de ce nouveau décor sauvage aux infinies montagnes et si belles étendues d’eau.

L’un des nombreux panoramas qui se succèdent.

Les portes de la dernière ville avant la fin du monde sont franchies. Je me rappelle à mon moi passé ayant l’idée de me rendre en ce lieu sans savoir vraiment à quoi il ressemble, juste parce que j’aimais la poésie et le mystère que m’évoquaient cet endroit du monde. M’y voilà donc, un grand sourire fatigué mais franc. Pour mon dernier logement, je veux le confort de la solitude et le luxe d’une cuisine pour moi. Je trouve une petite cabane sous forme de loft qui sera mon refuge bien plus que je l’anticipe cette semaine.

Les portes de la ville à chaque extrémité.

Je rencontre via Couchsurfing Lia avec qui je partage un café et qui me présente ce qu’elle a pu faire de ses journées durant son séjour dans les environs. Elle me proposera d’ailleurs d’aller randonner avec elle et une amie qu’elle va retrouver. Souhaitant commencer l’ascension en stop pour gagner du temps, je ne suis pas enchanté par l’idée et je crois que mon envie de profiter du calme de mon environnement l’emporte. Au départ de la randonnée, je les quitte donc pour faire mon ascension seul.

Emballé, je suis quelques sentiers pour gagner un mirador donnant sur la ville longeant une partie du canal de Beagle. J’emprunte un chemin qui semble tracé même s’il n’apparaît pas sur mes cartes. Je me retrouve dans un cul-de-sac emporté par l’absence totale de faire demi-tour. Dans mon élan d’entrain, je me retrouve à escalader un mur de sable avant de ramper dans les fourrés longeant le chemin que je tente de rejoindre. J’assumerai cette bêtise et panserai mes éraflures au retour.

Le vent mordant des glaciers derrière moi, l’averse laissant la place à quelques flocons, rien ne me freine de ce qui me semble être mon objectif final. Je gravis à ma manière la Montagne du Destin pour y jeter l’Anneau. Ma quête touche à sa fin et pourtant il me manque encore 657 km de marche pour avoir le plaisir de faire le parallèle avec Frodon et Sam.

Non, ma lecture de la trilogie n’influence pas du tout mon voyage, c’était déjà là bien avant avec les chefs-d’œuvre de Peter Jackson…

Aujourd’hui, la suite de mon itinéraire – que j’avais pourtant imaginé jusqu’aux côtes brésiliennes en passant par le cœur de la forêt amazonienne après avoir longé les côtes argentines par l’est et gagné la Bolivie et ses sites de fouille paléontologiques – n’est plus d’actualité même si je la garde dans un coin de ma tête pour un futur proche ou lointain.

Ushuaïa et le canal de Beagle.

Je contemple ce lieu sauvage et riche d’une histoire seulement récente. Les montagnes méridionales définissant la limite du canal de Beagle paraissent indomptables et inapprochables. Elles le paraissent tout autour de moi d’ailleurs. L’envie de les laisser tranquilles et d’accorder un peu de repos à mon corps après seulement 42 jours pour traverser ces deux pays gigantesques que sont le Chili et l’Argentine se fera sentir et s’imposera d’ailleurs puisque je tomberai malade et serait cloué au lit par quatre jours de grippe.

Le climat des derniers jours a un air de Noël européen…

Pour se donner une idée des distances parcourues depuis Halloween, j’ai fait l’équivalent d’un Berlin-Bangkok (un peu plus de 10 000 km) avec une vingtaine d’étapes. Le Pérou ayant déjà été éprouvant, le rythme des dernières semaines ainsi que les décisions à prendre récemment auront donc fini par avoir raison de mon corps qui, arrivé à destination, décide de se relâcher et de prendre le repos qu’il mérite. 

Ma semaine à Ushuaïa ne sera donc pas pleine de folie mais ironiquement tranquille, dans l’obscurité de ma chambre principalement. J’ai néanmoins la chance de retrouver un couple avec qui j’aurai partagé bien des sentiers puisque Thibault et Romane que j’ai rencontré en Colombie sont là pour me chouchouter quand je suis au fond de mon lit.

Le quartier où je loge.

Sur les quelques moments où je ne serai pas alité, je partagerai avec eux quelques balades en ville à partager une bière en profitant de l’ambiance de Coupe du Monde emballant de plus en plus les argentins. Je rassemble mes forces pour profiter des possibilités de shopping en rentrant bientôt au pays. Bonjour le marché artisanal !

Vamooooooooooos

Je ferai une dernière rencontre surprise avec la connaissance de Rosario qui viendra partager une bouteille de vin et m’apporter quelques solutions médicamenteuses pour m’aider à guérir, la veille de mon départ. Un dernier élan de générosité dans ce voyage qui en aura compté bien trop. La fatigue m’écrase mais je tente de savourer cette dernière soirée jusqu’au bout – ou du moins jusqu’à ce que mes paupières soient trop lourdes et se ferment malgré moi.

Une épave emblématique de la ville où mon frère buvait une douzaine d’années plus tôt un verre en secret avec Mauricio que j’ai retrouvé en Colombie.

Une dernière marche de bon matin, un dernier pouce levé pour me faire prendre en stop jusqu’à l’aéroport et me voilà qui décolle d’Ushuaïa pour la capitale, en pleine finale du mondial de foot. Les annonces du pilote et les danses de joie des locaux après une tension palpable sur tout le vol m’extraient de mes pensées et me confirment que la traversée de Buenos Aires sera compliquée. Heureux pour eux, je m’amuse à voir pareille euphorie générale.

Il est l’heure de dire adieu au continent et à bien des trésors qu’il renferme. Reconnaissant, humble, paisible, mes pas gagnent l’avion. Saudade.

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