Levure et cathédrale

Jours 224 à 227 – Dimanche 4 à mercredi 7 décembre 2022 – Chaiten, Coyhaique, Puerto Rio Tranquilo – Chili

Ma musique “mémoire” du lieu, à écouter pendant la lecture si le cœur t’en dit !

Dans le ferry pour la nuit à garder mon sac entre les bras recouvert de ma couverture en alpaga qui m’offre un peu de chaleur et de réconfort, je repense à un petit moment anodin offert par une otarie durant l’attente de mon transport. Allant et venant près du rivage, elle se laissait observer dans sa nage gracieuse. Après avoir partagé plus tôt une conversation avec plusieurs amis pour célébrer à distance un anniversaire et laissé Lorène à l’aéroport, la solitude me gagne. Encore inconnue depuis le début du voyage, elle me devient familière ces dernières semaines.

Le port de Puerto Montt où j’attends mon ferry

Les raisons en sont sûrement multiples. Je n’arrive pas à vivre comme je le souhaiterais mon voyage en traversant le Chili et l’Argentine à cette allure. Je n’ai pas le temps de profiter des moments car à l’instant où le décor semble se figer, voilà qu’il faut partir.

De plus, je porte encore le poids d’expériences et de rencontres au Pérou. Mon mental n’a pas le temps d’assimiler tout ce qu’il se passe et mon corps fatigue entre cette charge et le mouvement constant. Les heures de bus, spécialement nocturnes, n’arrangent rien. Le ferry ne fait pas exception bien que j’arrive à faire abstraction de la foule et de l’animation environnante.

Mon taxi arrive !

J’apprécie et je sais être seul. Et heureusement dans un tel voyage. Pourtant, le manque de contact physique de mes proches, l’absence de stabilité émotionnelle ou même matérielle (lieu de vie, création de repères, etc.) me pèse. Depuis plusieurs semaines, je suis concerné par les mauvaises nouvelles familiales que j’ai pu avoir et mes pensées sont affectées par le choix à faire. Si choisir signifie toujours sacrifier quelque chose, ma décision sera conséquente pour mon futur. Le besoin de choisir impacte d’ailleurs déjà le voyage depuis fin octobre.

Endormi sur ce flot de pensées, mes paupières se décollent sans quiétude à l’aube dans le vacarme avoisinant. Seul le paysage mystique et imposant de la Cordillère semble tranquille, désormais composé de forêts de pins n’arrivant pas à masque le relief indescriptible en changement constant au pied des cimes toujours enneigées.

Le visage de la fatigue

Guettant l’approche des rives du village de Chaiten, j’observe le cœur lourd la cargaison d’un camion. De pauvres vaches y sont entassées depuis la veille (au moins) et pour je ne sais encore combien de temps. La maltraitance du bétail et des chiens errants est encore bien trop monnaie courante en Amérique du Sud tandis que les animaux de compagnie sont adulés. Un drôle de contraste qui j’espère changera avec entre autres la diminution des animaux en ville grâce aux campagnes de stérilisation déjà impulsées dans certaines régions.

En direction de l’est, la Cordillère et à l’ouest l’archipel de Chiloé

Fraîchement débarqué, je tente ma chance auprès de quelques poids lourds pour me rendre jusqu’à Coyhaique. Les bus sont très rares et même s’il n’y a qu’une route, elle n’est pas fréquentée. J’arrive pourtant à en avoir un ticket pour partir dans une quinzaine de minutes (le prochain étant trois jours plus tard) et à me passer du stop pour arriver jusqu’à mon objectif du jour.

Sur la route, les paysages sont enchanteurs malgré une pluie pénétrant sans cesse un brouillard épais. Sillonnant cette route solitaire dans des vallées difficilement visibles, apercevoir un peu de ce qui m’entoure, quand une faille dans cette météo le permet, me dessine avec facilité un sourire de satisfaction.

Hébergé dans un Airbnb dans une chambre privée, je suis reçu en fin de journée par Fernando et Macarena. Affables, je me prends vite d’affection pour eux à partager bien des sujets de discussion avec ce qu’il me reste d’énergie. J’ai l’occasion de préparer le pain avec Fernando pour le petit-déjeuner du lendemain grâce à sa levure maison. Ce petit plaisir peut paraître anodin mais m’apporte un sentiment de sérénité et de sécurité qui arrive à point.

Décidant de m’écouter et me sentant dans un endroit où je peux le faire, je prends la décision de rester une journée de plus pour prendre soin de mon corps et évacuer un peu de cette charge mentale qui me pèse. Ma journée aura donc pour programme celui de me balader en ville malgré la pluie, de me régaler les yeux de l’artisanat local et de profiter de quelques cafés.

De nouveau en route le mardi 6 après quelques galères pour trouver une solution m’amenant jusqu’au village de Puerto Rio Tranquilo, je passe sur le chemin par celui de Villa Cerro Castillo qui tient son nom des sommets voisins ayant une forme de château fort.

Le Cerro Castillo que j’aurais aimé visiter en prenant le temps d’y randonner
Personnellement, cette composition de paysage volée depuis la fenêtre de mon transport me fait encore plus voyager…

Enfin arrivé à destination. Satisfaction méritée après tant d’heures de trajet et de recherches pour arriver à mes fins. Après un repas partagé au hasard des rencontres avec deux jeunes françaises, Daria et Philippine, je trouve un hébergement m’offrant une chambre privée pour la première fois depuis des semaines (à l’exception de mon camping mais ne proposant pas le même confort) et je me mets vite en quête de la raison de ma venue : la cathédrale de marbre.

Le lac Buenos Aires que je m’apprête à traverser en bateau voit son sol composé de calcaire qui avec le temps s’est transformé en marbre. Sa solidité n’est pas suffisante pour une quelconque exploitation et c’est tant mieux pour la préservation d’un pareil site. Sculptées par les eaux du lac, de nombreuses cavités et rochers érodés font l’attrait de cet endroit. Les formes lisses au toucher sont pourtant menaçantes à la vue avec les stries et les reliefs pointus qui les composent.

En changeant d’aspect selon la clarté du ciel et par conséquent de l’eau du lac, le décor est improbable dans son eau au bleu cristal et transparent. Les glaciers alimentant la zone tout autour se rappellent à nous avec un vent glaçant constant. Il était d’ailleurs possible de faire la visite en kayak mais la météo ne rendait pas la chose sûre et j’ai mon lot d’aventures périlleuses pour un temps.

Après avoir passé quelques épaves d’embarcations anciennes nous permettant d’en savoir plus sur le passé récent de cette région du Chili, nous entrons donc dans les grottes à proximité avant de découvrir la chapelle de marbre puis la cathédrale dont les colonnes et fenêtres naturellement sculptées gardent l’œil attentif au détail et poussent à la contemplation.

La chapelle de marbre sera le clou de ma visite…

Sur la route du retour, mon regard alterne entre les condors volant au-dessus de nos têtes près de leur nid sur les falaises voisines et les massifs innombrables jusqu’à perte de vue. Le repos s’impose. Après avoir cherché comment quitter le pays, je me rends le lendemain au bord de la route à attendre qu’un minibus passe en croisant les doigts pour qu’il ait de la place. Je regrette vite d’être embarqué quand je vois l’état de la route qui après 5h me vaudrait bien un passage chez le kiné.

A la recherche de quelques condors

Déposé à la frontière, je tente avec deux compagnons de fortune rencontré dans mon transport de passer la première douane. Le français ne parlant pas couramment espagnol, il se retrouve à répondre à une question en déclarant avoir de la drogue avec lui. Impossible de me retenir de rire et heureusement, l’employée comprend qu’il n’a pas compris sa phrase. Lancés dans une marche jusqu’à la douane argentine, nous avons la chance d’être pris en stop puis de terminer cette journée en randonnant jusqu’au terminal terrestre du village Los Antiguos.

Un bus part vers 21h soit dans moins d’une heure pour atteindre le paradis argentin du trek au matin.  Décidément, mes recherches ont porté leur fruit et tout s’est parfaitement articulé. J’embarque donc pour El Chaltén et j’en profite pour regarde sur mon téléphone pour la première fois « La Grande vadrouille » qui me vaudra de nombreux éclats de rire au milieu des ronflements…

Une pépite !

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