Jours 219 à 225 – Mardi 29 novembre à lundi 5 décembre 2022 – Puerto Montt, Ancud, Castro, Quellon – Chili
Toujours en pleine digestion de mon engloutissement de noix lors du passage de la frontière, je finis par rejoindre Lorène qui m’attend à l’aéroport pour le retrait du véhicule. Petit problème, il nous est demandé une carte de crédit or il n’est pas fréquent pour les français de fonctionner au crédit et nos cartes ne passent pas. L’agence nous conseille d’aller voir un gars qui déambule dans l’aéroport et qui propose sa voiture privée à la location. Tu la sens venir l’arnaque ?
Sur mes gardes mais ayant l’habitude de la location de véhicule avec les nombreux tournages de mes jeunes années, nous tentons l’expérience (bon, aussi, faute de solutions). Et nous voilà parti pour l’aventure. Poser son sac dans un coffre et pouvoir s’arrêter où bon nous semble est une combinaison confortable et luxueuse que nous ne nous étions pas encore offert.
Musique à fond, nous voilà à nous conter nos dernières semaines de voyage et de péripéties. Sans savoir où nous allons nous arrêter pour passer la nuit, le ferry nous fait débarquer sur l’île de Chiloé (enfin l’archipel puisqu’il y a une trentaine d’îles autour de la principale).
Découvrant le charme de ces nouveaux paysages qui défilent à notre rythme, l’ensemble nous évoque très vite la Bretagne : un vallonnement verdoyant ponctué de nombreuses forêts, un ciel lumineux alternant régulièrement entre ses teintes bleues et grises, une météo capricieuse avec des averses et des rafales de vent faisant apprécier notre abri sur quatre roues, des petits villages et du bétail, des falaises rocailleuses offrant un abri aux oiseaux marins de la région tandis que se fracassent les vagues de l’océan à leurs pieds…
Le rappel de notre localisation provient de la Cordillère des Andes qui se dévoile en arrière-plan à l’est sur le continent avec une succession interminable de sommets enneigés. Combinée avec l’architecture typique des constructions en bois de l’île, multicolores et souvent sur pilotis. Parmi les nombreuses églises et chapelles traversant le paysage dont nous finissons par perdre le nombre, seize sont classées au patrimoine de l’humanité par l’UNESCO.
Dernier bastion colonial de l’autorité espagnole pendant la Guerre d’Indépendance du Chili (1813-1826), nous ne profiterons pas de cours d’histoire sur les cinq jours à parcourir l’île. Notre attention portera sur l’errance suivant l’envie qui nous anime pour profiter des panoramas et de la biodiversité.
Dès le premier jour, nous nous mettons en quête des pingouins peuplant les côtes. Souvent à rester en groupe sur un endroit frais à l’ombre des falaises, nous ne ferons que les observer de loin sans se ruiner pour un tour en bateau et les gêner en se rapprochant grandement d’eux. Le reste de la journée sera ponctué par des balades, des discussions avec des locaux et l’appréciation des mets locaux.
Malgré notre tentative de se rendre dans des endroits sauvages, nous n’aurons pas la chance d’observer d’autres pingouins ni d’apercevoir les baleines et les dauphins passant dans les environs. Cela ne nous empêchera pas pourtant de prendre plaisir à observer ces lieux et ses autres habitants dont le premier regard posé sur eux suffit à avoir la tête pleine d’histoires et de contes.
Les pingouins de Chiloé
Le cycle de reproduction :
- août-septembre : aux premières chaleurs du printemps, les pingouins arrivent sur la côte et préparent le nid de l’année précédente
- septembre-octobre : la saison des amours commence et la femelle va très vite pondre un œuf que le couple protègera 42 jours
- octobre-novembre : les petits sont nés et les parents s’appliquent à les protéger des goélands tout en allant pêcher
- janvier : les jeunes reçoivent leur première leçon de nage
- février : l’heure de la mue. Pas question d’aller dans l’eau pendant 20 jours
- mars : les pingouins quittent l’île pour nager et pêcher sans toucher la terre ferme avant de revenir pour le printemps suivant
Légendes et fêtes
Nous visitons d’ailleurs un parc à l’ouest de l’île pour y découvrir une œuvre architecturale au milieu des vallonnements et des falaises encore sauvages. Il s’agit d’un pont en bois s’élevant vers le ciel et faisant face à la mer. Présent pour honorer sobrement les croyances mapuches (le peuple indigène le plus présent au Chili), ce Pont des âmes doit servir aux âmes perdues à appeler le Passeur Tempilkawe (un être mythologique de la culture Huiliche) pour rejoindre le monde spirituel. De nombreuses légendes et croyances sont encore transmises et j’ai pu trouvé quelques partages intéressants ici et là si ta curiosité l’emporte !
En profitant de locations de cabanes typiques ou d’une nuit en tente à l’abri d’un vent fortement éprouvant, le plaisir de cuisiner pour nous tout comme de pouvoir cocooner est de la pure dopamine. Depuis Halloween déjà dans l’ambiance pré-fête de Noël, les décorations inondent les environnements urbains du pays.
En arrivant à Quellon au bout de l’île, je flashe sur un coffee shop offrant un décor féérique et je me mets à rêver d’un plaid, un gâteau, un chocolat chaud et tout cela devant « Maman, j’ai raté l’avion ». Quelques heures plus tard, après avoir tenté Lorène, nous voilà au chaud avec un peu de chauffage faisant craquer les planches de bois de notre cabane (le premier de mon voyage…) devant cette comédie de Noël. Bonheur…
Après quelques 700 kilomètres à rouler vers l’aventure, nous rendons le véhicule sans peine et Lorène s’envole vers le sud du Chili pour aller à la rencontre des baleines. Pour ma part, il est temps de me diriger vers le port de Puerto Montt pour y attendre mon ferry qui longera les côtes toute la nuit jusqu’à atteindre Chaiten et me risquer vers les routes les plus sauvages de mon voyage. Bien des heures de bus m’attendent pour atteindre un petit village de quelques centaines d’habitants au bord d’un lac abritant quelques merveilles. En attendant, pourquoi ne pas te proposer le désormais habituel listing hasardeux de faits divers sur le pays ?
Quelques faits divers :
- Première surprise du pays avec ses pesos. Les billets par leurs couleurs et leur texture me semblent tout droit sorti d’un “Monopoly”.
- Le salaire minimum tourne autour de 400€ avec pourtant un coût de la vie proche de celui de la France (avant l’inflation de 2022) ce qui me rend curieux et surtout soucieux de la durabilité de cette situation.
- Comme dans les précédents pays, les hôpitaux publics ont une qualité de service très dégradée faute de moyens. J’ai entendu plusieurs fois dire durant mon voyage qu’on allait à l’hôpital sans garantie d’en ressortir vivant voire pour y mourir.
- Le système de retraite est privatisé et ne semble pas laisser grand-chose aux chiliens et chiliennes forçant la solidarité dans les familles voire les seniors à reprendre le travail. Avec l’inflation des dernières années, je n’ose imaginer la difficulté du quotidien.
- Habituée aux séismes, la plupart des habitants est assez sereine sur les plus petites secousses tandis que je me rappelle me lever au milieu de la nuit à Valparaíso et sortir sur la terrasse après une première secousse. Amateur que suis-je !
- Les déchets dans la nature et dans la rue ne sont plus monnaie courante par ici et quelle respiration…
- Si les lamas et les alpagas ne font plus partie du paysage dans la progression de mon voyage, je fais la rencontre des guanacos (au sud) et des vigognes (au nord).
- Durant mon séjour sur l’île Chiloé, je fais la rencontre d’un drôle d’animal qui n’est autre que le pudu, plus petit des cervidés. De la taille d’un renard, j’avoue n’avoir pas pu m’empêcher d’avoir un grand sourire à voir ce truc miniature sur quatre pattes perdant toute la prestance que peuvent dégager ses cousins (on en parle du nom ?).
- Mon espagnol sera mis à rude épreuve avec l’élocution des chiliens (à manger autant de lettres c’est qu’elles doivent bon goût) et leur vitesse pour parler. J’avoue avoir plusieurs fois perdu de ma tranquillité à demander à répéter avec un interlocuteur s’exécutant sans ralentir le débit ou éviter le jargon…
- Le tourisme est assez développé dans le pays. Sa sécurité et sa diversité de paysages séduisent de plus en plus. J’imagine que cela explique la quasi-impossibilité de négocier et l’absence ponctuelle d’amabilité dans les lieux les plus fréquentés. Avec le développement vient la création d’un cadre rigide que j’ai appris à mépriser de plus en plus car souvent factice. Tu sais le fameux « ah oui mais non ce n’est pas possible parce que vous comprenez c’est ça la règle ».
- Le jargon est tellement important au Chili que je me retrouve à noter les expressions pour m’y retrouver.
- Avec la dictature de Pinochet, l’influence économique du modèle états-uniens se sent vraiment au quotidien (jusqu’aux études payantes dont le prêt doit être remboursé pendant de nombreuses années) tandis que l’Argentine me donnera le sentiment d’être opposé à ce mode de vie et sous une forte influence européenne.
Whouah ! Gros coup de coeur perso pour tes deux derniers articles ! Je trouve ces paysages tellement magnifiques et très belle façon de raconter toutes ces histoires 🙂