Jours 40 à 44 – Colombie – Medellín
Vendredi 3 juin au petit matin, après avoir peiné à dormir quelques heures avec les routes de la chaîne de montagnes parcourues par le bus m’amenant à Medellín, je suis récupéré par nulle autre qu’Elisa que j’ai rencontré brièvement avec son mari Santiago lors de ma randonnée au Cerro Kennedy. Ce genre de retrouvailles ne peut que vous donner le sourire pour la journée et cela me sera prouvé.
Lors de leur retour de randonnée sous la pluie, cet adorable couple a confié une missive à un randonneur en ascension pour m’informer que je serais le bienvenu dans leur domicile à Barranquilla sur la côte et que je pourrais trouver un hébergement chez une amie à Medellín. Faute de temps, je ne me rendrai qu’à la seconde destination où je serai accueilli par Estefania (ou Tefi) pour quelques jours. Mon premier Couchsurfing (ou hébergement chez l’habitant) sans passer par le site !
Repos, soldat !
A peine arrivé dans l’appartement, je me sens comme chez moi et c’est un sentiment rare en voyage. A être souvent en mouvement, je reprends mes marques à chaque nouveau lieu en complétant une check-list mentale : me sentir en sécurité, cacher de manière éparpillée mes affaires en cas de vol (la personne qui trouve mon passeport derrière un miroir mérite de le garder), avoir accès à une salle de bain et à de l’électricité, se reposer (le bus ne le permettant pas vraiment selon la route ou le véhicule -faites des bus avec de la place pour les jambes par pitié, je suis sûr qu’il y a des colombiens qui font plus de 1m70-), se renseigner sur les possibilités qui s’offrent à moi et faire des choix…
Ces déplacements prennent donc de l’énergie tout comme les rencontres, l’apprentissage constant de la langue, les activités et opportunités qui se présentent à moi… Avec un voyage sans date de retour, il m’est plus facile de prendre mon temps et je le fais. Néanmoins, je constate que j’ai grandement envie de ralentir encore plus pour me poser, écrire, cuisiner, décanter, lire, m’ennuyer. Je n’ai plus le rythme du travail mais je ne m’accorde pas de week-end. Je crois que mon séjour à Medellín sera une belle leçon à ce sujet : trouver l’équilibre entre avancer en direction de la Patagonie et marquer l’arrêt.
Avec le soutien de Tefi, j’arriverai à faire tout cela, sans culpabiliser. Je prendrai de nombreuses fois le temps de cuisiner et de partager ce genre de plaisirs simples. J’irai jusqu’à me faire une toile (même au bout du monde, je ne peux pas rater la suite de Jurassic Park, genre tu en doutais) !
Durant mon séjour, je rencontrerai Juan, Julio et d’autres belles personnes, amis de Tefi, d’Elisa et de Santiago. J’aurais même l’occasion d’aller danser la salsa (cubaine voire portoricaine mais la salsa de Colombie est bien trop rapide pour moi…) et d’organiser une soirée crêpes (accompagné du karaoké le plus court de l’histoire, quinze minutes, avant la plainte des voisins).
Révolution et guerre civile
La capitale du département d’Antioquia m’intrigue grandement. Sa réputation internationale peut faire peur face à son passé encore récent en lien avec le narcotrafic. Et pourtant, la grande majorité des colombiens me recommandait d’intégrer cette destination dans mon voyage, tant pour ses habitants que pour l’effervescence d’initiatives qui émerge des murs de la ville. J’applique ma règle d’or : toujours écouter les locaux !
Avec une vingtaine de quartiers pour 2,5 millions d’habitants, Medellín est la deuxième ville la plus peuplée de Colombie et sûrement l’une dont l’histoire a le plus évolué sur les cinquante dernières années.
Isolée dans la Cordillère occidentale, il fallait 3 mois pour se rendre à Bogotá voire 4 avec la pluie. Même chose pour atteindre Carthagène jusqu’à la création des routes par le philanthrope Pedro Justo Berrio ayant permis de développer et exporter les cultures de café et l’exploitation de l’or. Cette période de la « révolution du café » donna davantage de travail aux classes les plus démunies. En parallèle, l’essor de l’industrie du textile permis aux femmes dès 1905 d’obtenir une nouvelle forme d’indépendance… Tout cela jusqu’à la période de la « Violencia ».
Le 9 avril 1948, Jorge Eliécer Gaitán, leader charismatique de la gauche sur le point d’être élu président se fait assassiner. Cet homme avait en effet des idées un peu trop révolutionnaire au goût de certains en parlant « de la nécessité de démocratiser la propriété de la terre, de rendre le vote obligatoire, de favoriser l’éducation publique, de permettre au peuple d’accéder à la culture et à l’hygiène, d’encourager l’épargne populaire, de financer les petites entreprises et de reconnaître l’égalité des droits de la femme. Il a aussi cherché à mettre fin à la politique de la bureaucratie et du clientélisme ».
Sa mort met le feu aux poudres au pays. 300 000 personnes perdent la vie en cinq ans dans le conflit opposant libéraux et conservateurs. Le conflit pris d’abord dans la ville avant de se répandre dans les campagnes. C’est dans ce contexte que naissent les guérillas dont les FARC, plus grand groupe des 80 recensés. Au départ politique (avec en opposition les paramilitaires créent afin de riposter), ils se sont rapidement développés dans la production de cocaïne (aujourd’hui, 92% de la production mondiale) et de marijuana.
La soixantaine d’ethnies représentées en Colombie (mais aussi les personnes descendant des esclaves africains) subit durant cette période un racisme important (encore aujourd’hui) et beaucoup sont expropriées, forcés de fuir la jungle contrôlée progressivement par les trafiquants. D’autres communautés doivent s’exiler et on compte presque 8 millions d’habitants ainsi déplacés.
L’ombre d’Escobar
Pablo Escobar fait de Medellín sa base opérationnelle des années 1970 à sa mort, en 1993. Un quartier de la ville, entièrement financé par le baron de la drogue, porte officieusement son nom, le barrio Pablo Escobar. Malgré la violence qu’il a fait régner sur Medellín et sur la Colombie en général, Escobar reste populaire auprès de certains des plus démunis, qu’il a régulièrement fait profiter de ses énormes ressources financières. Ici, personne n’a le même avis sur le personnage et le tabou se ressent encore fortement. Parallèlement, on trouve malheureusement un fort merchandising sur cet homme, conséquence de la popularité des films et des séries récemment produits (qui ne voudrait pas un T-shirt avec la photo d’un tortionnaire ultra-violent ?).
Alors que les autres cartels de la drogue fonctionnaient au pot de vin pour agir librement, le baron s’est retrouvé après plusieurs tentatives avec un siège au gouvernement. Pointé du doigt comme narcotrafiquant par plusieurs autres élus, il a commencé à se montrer ouvertement agressif et fait exploser plus de 400 bombes à travers le pays. Il s’appuyait sur certaines parties de la population la plus démunie dont des enfants. Il offrait également des primes pour ceux qui tuaient des policiers et des miliciens. Je te laisse donc imaginer le climat de terreur qui régnait sur la ville.
Dans les années 1980, lors d’une tentative de développement, la municipalité offrait des terrains aux familles souhaitant s’installer sur le quartier portant le nom de Comuna 13. Il ne fallait pas avoir le malheur de s’absenter une semaine au risque de se faire voler son terrain, faute de document officiel pour se protéger jusqu’en 1993. Les meurtres et vols étant donc monnaie courante. Les constructions s’enchaînant sans véritable plan urbanistique, le quartier était un labyrinthe (comme d’autres, un fut d’ailleurs construit sur une colline faite de déchets). La police ne se rendant pas dans ses rues, c’est une milice qui veillait et aidait les habitants. Elle punissait les coupables en les attachant nus toute la nuit ou en les tuant dans les cas les plus extrêmes.
La Comuna 13, au pied des montagnes permettant de cacher la drogue et les armes, fut particulièrement touchée sous l’influence du baron et ne fut pas libérée de sa mort. Les FARC en prirent le contrôle à 80%, contestée par les paramilitaires dans les années 1990. Entre 2000 et 2002 règne le chaos et les contestations face au silence du gouvernement explosent. Finalement, 11 opérations militaires violentes sont menées pour reprendre le contrôle dont la plus conséquente, opération Orion (on parle de chars, de 3000 hommes mobilisés, d’hélicoptères tirant ouvertement dans les rues, de torture et de nombreuses victimes civiles). Succès contesté, le quartier est laissé à la gestion des forces publiques et des paramilitaires avant de voir naître des conflits entre gangs dans les années qui suivent.
Le graffiti ci-contre rappelle cette opération : un visage sans couleur et malheureux, un œil caché face au silence de l’État et un serpent pour représenter le danger du quartier et le labyrinthe qui le compose.
Renaissance
Alors que certains lieux et bâtiments témoignent encore de la corruption locale, la ville connaît depuis de nombreux changements. La population a décidé de reprendre en main la cité avec la municipalité. Cela passe avant tout par l’éducation avec la création d’écoles et l’obligation de s’y rendre. Il y a encore quinze ans, la plaza de las luces était pleine d’enfants de la rue avec de nombreux soucis de drogues, de vols et connaissant les conséquences d’une absence d’éducation sexuelle. Aujourd’hui, une prise en charge a été mise en place et je n’ai pas croisé un seul enfant errant durant mes balades.
Le transport joue un rôle important dans cette ville tentaculaire et la voiture ne fait que la congestionner, sans parler de l’état de la voirie qui n’aide pas. Les bus sont présents mais c’est surtout des funiculaires et plusieurs lignes de métro (les seules du pays) qui facilitent désormais la vie de milliers de personnes.
En parallèle de toutes ces initiatives, les nouvelles générations apportent un vent de fraîcheur en s’appropriant les murs de certains quartiers pour faire d’innombrables graffitis riches de couleurs, à l’image de la Colombie. N’importe qui peut proposer une nouvelle œuvre qui restera un an sur un mur avant d’être remplacé. En renouvellement permanent, les créations rappellent l’histoire de la ville et de la région. Ce travail de mémoire s’oppose au tabou de parler de cette période pour encore beaucoup de paisas (habitants de Medellín).
Je profiterai finalement de la gentillesse de Tefi pour laisser mon grand sac chez elle et partir les jours suivants dans des villages voisins réputés pour leurs maisons pleines de couleurs et leur environnement exceptionnel. Je me permets de conclure sur quelques oiseaux observés sur les dernières destinations, n’ayant pas eu l’occasion de le faire auparavant.
Merci JB pour ces belles photos et ces récits très intéressants. Prendre le temps, ne pas toujours être dans l’action, est effectivement très sage après 40 jours de voyage. Bisous prends soin de toi!
Merci Guigui !! Je deviens un escargot j’ai l’impression avec de nouvelles sensations et une approche beaucoup plus “j’menfoutiste” de savoir ce qui m’attend dans mes nouvelles destinations. Faut que je me reprenne un peu quand même si je ne veux pas louper (trop) de choses, héhé. Des bises à Anna et les enfants. Vivement de vous retrouver et de me reprendre un dérouillée au billard ! 🙂
Merci pour de partager cette aventure avec nous, c’est un plaisir de te lire. Bonne continuation.
Salut Pierre ! Avec ton mail je n’arrive pas à savoir de quel Pierre il s’agit mais merci pour les encouragements !
Volley 42140😁
Ah super ! Merci Pierre ! J’espère que la pause estivale ne rendra pas la reprise du volley trop dure à la rentrée, héhé !
Quel récit bien écrit et intéressant. Merci de m’avoir fait voyager sans même bouger. Bonne route JB!
Marion ! Quel plaisir de te savoir dans le coin ! Heureux de te faire voyager à moindre impact haha. On se voit à mon retour dès que je viens investir la région 😉 !
Ca y est je suis à jouuuuur !! Je vois que tu as toujours autant de bons plans. Profites bien