Jours 32 à 34 – Colombie – Riohacha, La Guajira, Palomino
Expédition
Le 4×4 nous attend devant l’appartement que je rends à Doila. Les sacs sont chargés et je fais la rencontre de notre chauffeur José Luis sur cette expédition dans le désert de la Guajira, à la pointe nord colombienne. Comme souvent jusqu’ici, le véhicule laisse peu de places pour une paire de jambes européenne et l’assise promet en quelques instants de vite rêver d’un massage. Avec Mathilde, je fais la rencontre de mes autres compagnons de voyage pour ces trois jours. Alexia et David sont un couple français adorable qui voyage depuis quelques mois en descendant de San Francisco à Bogotá.
Chaque voyageur à sa façon de découvrir, de se déplacer, de consommer et de restituer ses apprentissages. Tous les jours, il arrive de se croiser et selon les affinités de partager un moment mais partager une expédition comme celui-ci plusieurs jours peut être éprouvante s’il y a trop de différences. Heureusement pour moi, mes trois compères ajouteront quelques saveurs à la découverte de ce désert !
Ce jeudi 26 mai, nous quittons Riohacha pour nous aventurer jusqu’à la dernière ville, Uribia, servant de porte d’accès pour ce désert. Les routes sont truffées de nid-de-poule, les bas-côtés sont régulièrement effondrés parfois allant jusqu’à une voie entière sur plusieurs dizaines de mètres. Des chèvres traversent régulièrement. Sur un fond musical de vallenato, un genre très populaire en Colombie avec de l’accordéon à foison, qui s’avèrera continue sur les trois jours, la route se transforme en circuit et José Luis en pilote. Avec les vibrations constantes et le buste qui joue au pendule, c’est sensations garanties et incitation au gainage.
Première arrêt sur des salines où les nuances de rose des bassins et de jaune pâle du sable pigmentent le plat paysage et contrastent avec la mer. Dans ces marais d’eau de mer, on profite de l’évaporation pour y produire le sel marin. La couleur de l’eau est due à la présence de nombreux crustacés (artemia salina), également responsables de celle des flamants roses. La taille des bassins rappelle qu’il s’agit d’une production artisanale et contraste avec d’autres bassins plus imposants et industriels.
L’agence nous a prévenu que durant la traversée, il y aurait un « péage » où des enfants demandent un paiement pour continuer à progresser dans le désert. Après un bref passage à Uribia pour faire nos provisions d’eau et avoir de quoi donner aux garnements qui nous bloqueront le passage (fruits, légumes, riz, eau, café, panela…), nous rejoignons les chemins de terre en direction du nord, tout en longeant la voie ferrée où des trains interminables transportent vers Santa Marta le charbon.
Pensant avoir prévu large et pouvoir donner en grandes quantités, il s’avère que nous sommes pris de court et que nous rationnons les distributions jusqu’à épuisement puisque c’est presque 90 péages que nous passerons au total. Chaque fois un nouveau coup de marteau rappelant la pauvreté régnant sur ce peuple indigène mis de côté par le gouvernement.
Après une étape en bord de plage pour déjeuner et cinq heures de route où les paysages passent de forêts de cactus, étendues de terre asséchée à mangroves dans les quelques rivières d’eau saumâtre, nous nous glissons dans un petit bateau à moteur pour atteindre la pointe nord du continent sud-américain et au passage le ranch de la famille wayuu qui nous va nous héberger et partager son mode de vie.
Les Wayuu
A cheval entre la Colombie et le Venezuela, le territoire de ce peuple amérindien est en grande partie désertique et les dernières dizaines d’années n’ont pas amélioré la situation, l’eau étant toujours plus difficile à aller chercher dans les nappes phréatiques via les puits et la biodiversité s’étant appauvri notamment avec le braconnage (on y trouvait plein de tortues notamment).
Peuple le plus important sur le nombre d’habitants dans le pays, les wayuu parlent leur propre langue et l’espagnol pour une partie. Vivant essentiellement du tissage, de la pêche et de l’agropastoralisme, ils sont le seul peuple à ne pas avoir été conquis par les espagnols et jouissent encore d’une certaine indépendance, notamment sur le passage des frontières entre les deux pays concernés par leur territoire.
La plupart des familles vivent ensemble dans des rancherías (soit des petits hameaux) comme c’est le cas là où nous logeons. Vive les douches avec les sceaux d’eau ! Ici, pas d’eau courante, pas d’électricité sauf sur batterie (il y a eu un projet gouvernemental pour apporter du courant à travers une production renouvelable mais qui n’a pas fonctionné bien longtemps).
Après avoir été escorté par deux enfants de la famille pour apprécier le coucher de soleil sur le bord de plage, nous dînons au centre de la ranchería tandis que le reste de la famille reste dans la partie cuisine. Dommage pour l’aspect immersion mais nous respectons ce choix. Autour d’un feu de camp, j’ai enfin la chance de voir mon premier ciel étoilé. Et quel ciel ! Raul nous partage quelques aspects de sa culture wayuu tout en nous offrant des tournées d’un alcool local autour de 35%, le chirrinche, à base de sucre de canne et servant dans les rituels traditionnels souvent riches en danse. Ne voulant pas donner la sensation de vouloir abréger la soirée et voulant en savoir plus, il nous semblait difficile de refuser malgré les cinq tournées et l’apéritif ayant précédé.
L’héritage de ce peuple est principalement oral. Il est vénéré un seul Dieu, Maleiwa, et bien sûr les ressources naturelles comme l’eau sont considérées sacrées. Pour en savoir un peu plus, c’est par ici !
Raul nous parle d’une ancienne tradition pour le moins surprenante bien qu’aujourd’hui elle n’est plus d’actualité et… heureusement si je peux me permettre. Toute jeune fille se découvrant ses premières règles se voyait pris en charge par sa mère ou sa grand-mère et cachée trois ans aux yeux du reste du monde. On parle d’aller jusqu’à se cacher sous une couverture ou des habits pour aller aux toilettes. A la fin de cette peine, une grande fête était organisée et de nombreux prétendants venaient proposer au patriarche une part de leur fortune pour repartir avec la jeune femme (chèvres, vaches, cheval…). L’homme wayuu pouvait avoir jusqu’à cinq femmes qui vivaient alors ensemble dans le ranchería.
Vie dans le désert
Revenons à notre séjour dans cette famille. Vendredi matin, nous allons chercher de l’eau au puits pour nourrir les chèvres avant de rejoindre les femmes de la famille dans la cuisine pour aider à la préparation d’arepas. Nous rejoignons finalement les grandes dunes de sable à quelques kilomètres avant d’aller piquer une tête sur la plage où les vagues sont nombreuses et parfois violentes. Plus tard dans la journée, nous nous rendons au phare. Après un vœu en déposant une pierre sur un cairn, je me retrouve durant quelques minutes l’homme le plus au nord du continent sud-américain avant de continuer mon voyage vers son extrême opposé.
Avec toute cette route, nous reprenons encore une fois la voiture pour aller apprécier une autre plage avec un doux coucher de soleil. Mon impression d’être baladé en voiture en bon touriste aisé ne me quitte malheureusement pas alors que je m’attendais à vivre davantage sur un rythme différent et plus immersif.
La soirée confirme cette sensation puisque nous partageons simplement un repas et qu’au lieu de découvrir davantage de cette culture qui m’est parfaitement étrangère, nous finissons par prolonger le dîner avec quelques parties de cartes avant de rendre les armes. Je tente une nuit en hamac pour profiter du ciel mais le froid finit par me rattraper et je retourne dormir aux côtés d’une petite araignée ressemblant drôlement à une veuve noire.
A l’aube, sur le départ, nous sommes équipés de tenues et d’ustensiles traditionnels wayuu pour faire une photo avec la famille dont certains membres que nous avons tout juste aperçu auparavant. Malaise, bonjour ! S’enchaînent plusieurs heures de route pour revenir à la ville. Au final cette expérience, bien que riche, m’aura laissé un goût amer en bouche à payer le prix fort en estimant que c’est de l’argent bien dépensé et en étant sollicité financièrement sur tout le trajet avec les péages comme sur place au sein de la famille. Notre chauffeur ne nous aura pas appris grand-chose sur toutes les richesses que nous découvrions sur notre chemin, peu bavard et à la prononciation nous rendant impossible de comprendre vraiment ses réponses à nos questions. Je garde néanmoins le positif de cette expérience.
Après des adieux avec Alexia et David, je me dirige avec Mathilde vers Palomino, un petit village où elle loge en pension en échange d’un volontariat à s’occuper de chats. M’hébergeant pour la soirée, le karaoké que j’avais osé espéré n’aura pas lieu, veille des élections où l’alcool est interdit à la vente et la fermeture des bars anticipée. Ce sera donc une soirée blind-test avec ses colocataires Angel et Ty avant de dormir sur une terrasse sous un bout de moustiquaire improvisée et avec des meubles autour de moi pour éviter un chien qui mord. Le lendemain matin, je sais que je prendrai mon temps pour prendre des forces avant mon retour à Minca afin de tenter l’ascension jusqu’au Cerro Kennedy, la randonnée que je souhaitais faire seul pour découvrir la vue sur les montagnes les plus hautes de Colombie.
Mais je suis intriguée par ces péages… Vous étiez obligés de vous arrêter vraiment aux 90 ? Je ne veux pas passer pour absolument irrespectueuse, non compatissante voire aigrie mais c’est super particulier alors je demande ^^
Merci de m’avoir fait cherché le mot agropastoralisme. J’espère ne pas être la seule…
Et merci pour les cartes ! Je trouvais que ça manquait jusqu’à présent, mais t’inquiètes, google maps est mon meilleur ami
En effet, on était assez surpris. Quand un enfant tend une corde devant toi, forcer le passage engage de casser la corde ou de mettre en déséquilibre l’enfant. Il y a eu plusieurs morts de cette façon(dont un gamin quelques jours après notre passage) et les locaux demandent de l’aide du gouvernement pour changer les choses. Parfois, on peut voir des grilles cadenassées et là, impossible de forcer mais quand nous n’avions plus de denrées, le chauffeur engueulait les personnes en langue wayuu pour passer, parfois en forçant “doucement” le passage. Le voyage était long.
Pour les cartes, je bosse sur une page supplémentaire pour rajouter les étapes mais je manque de temps libre (cocasse, non ?), de Wifi et de compétences haha.